Newsletter Du 27 Mai Au 7 Juin 2024 | N° 77

MB
Monfrini Bitton Klein

Contributor

Based in Geneva, but borderless in its reach, Monfrini Bitton Klein is a litigation-only Swiss law firm, internationally recognised for asset recovery, business crime and cross-border litigation. We are representatives for Switzerland of ICC-FraudNet, the leading global network of fraud and asset recovery lawyers.
Absence de violation du principe de territorialité en cas d'échanges sur Threema entre agents infiltrés en Suisse et prévenu à l'étranger dans le cadre d'une investigation secrète pour narcotrafic
Switzerland Criminal Law
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I. ProcÉdure pÉnale

TF 7B_6/2024*

Absence de violation du principe de territorialité en cas d'échanges sur Threema entre agents infiltrés en Suisse et prévenu à l'étranger dans le cadre d'une investigation secrète pour narcotrafic [p. 6]

TF 7B_209/2024

Rappel de jurisprudence : la notification de décisions par le biais de la Feuille officielle est une ultima ratio des moyens de communication des autorités pénales [p. 4]

TF 7B_168/2023

Délimitation de l'utilisation d'enregistrements saisis sur un portable

selon leur utilité à la procédure pénale [p. 2]

TF 7B_246/2024

Respect du droit d'être entendu en cas de reformatio in pejus [p. 5]

TF 7B_553/2023

Exigences moins strictes en matière de récusation pour un policier en charge d'une enquête sous mandat du Ministère public [p. 3]

II, Droit PÉNAL ÉCONOMIQUE

III. Droit international privÉ /

IV. Droit de la poursuite et de la faillite

TF 5A_751/2023*

Primauté du Traité conclu entre le canton de Thurgovie et le Royaume de Bavière en 1834 sur la LDIP : reconnaissance du jugement de faillite étranger non nécessaire pour l'administrateur étranger aux fins d'obtenir une cession de créance [p. 7]

V. entraide internationale

Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE


TF 7B_168/2023 du 18 avril 2024 | Délimitation de l'utilisation d'enregistrements saisis sur un portable
selon leur utilité à la procédure pénale
(art. aArt 248 al. 1 CPP)

  • Le Ministère public de Limmattal/AlbisMinistère public») a reproché à A. (« Recourant ») d'avoir commis plusieurs excès de vitesses sur les communes d'Unterengstringen, Regensdorf et de Zurich, dans la nuit du 27 novembre 2022. Après avoir été interpellé, il a été arrêté et son téléphone portable a été saisi. À la suite de son interrogatoire par la police, le Recourant a requis et obtenu l'apposition des scellés sur son portable. Par décision, le Zwangsmassnahmengericht de DietikonTribunal des mesures de contrainte ») a accepté la levée des scellés requise par le Ministère public. Le Recourant a interjeté un recours en matière pénale contre cette décision.
  • Devant le Tribunal fédéral, le Recourant a fait valoir, entre autres, que la perquisition de son portable aurait dû être limitée aux vidéos prises pendant une période déterminée (consid. 2.1).

Le Tribunal fédéral a rappelé que pour qu'une perquisition soit admissible, elle doit reposer sur les principes de proportionnalité et de nécessité et, partant, écarter les enregistrements manifestement non pertinents, même en présence de grandes quantités de données (consid. 2.2.1).

  • In casu, notre Haute Cour a relevé que le Ministère public avait motivé sa demande de saisie et de perquisition par la nécessité d'élucider les cas de conduite en état d'ébriété qui étaient reprochés au Recourant en décembre 2021. Il ressortait clairement de la requête du Ministère public que seuls étaient intéressants pour l'enquête pénale les enregistrements en rapport avec les courses de vitesse présumées à partir du 24 décembre 2021 (Art. 248 CPP). Par ailleurs, le Ministère public avait clairement délimité, sur le plan matériel et temporel, les enregistrements pertinents (à savoir les images, les vidéos, les messages textuels et les données de localisation qui se trouvaient sur le téléphone portable) pour la procédure. Le Tribunal fédéral a donc considéré comme contraire au droit l'autorisation de lever des scellés de l'instance précédente sur l'ensemble des enregistrements présents sur le téléphone du Recourant (consid. 2.6).
  • Partant, le recours a été partiellement admis.

TF 7B_553/2023 du 14 mai 2024 | Exigences moins strictes en matière de récusation pour un policier en charge d'une enquête sous mandat du Ministère public (art. 56 let. f CPP)

  • et B. (« Recourants») ont été interpellés par des agents de police le 18 juillet 2021. À la suite de cette interpellation, les Recourants ont porté plainte contre lesdits agents en leur reprochant, notamment, de les avoir blessés et injuriés. Le 10 mars 2023, le Ministère public genevois (« Ministère public ») a ouvert une instruction contre quatre agents de police pour abus d'autorité, lésions corporelles simples, menaces, dommages à la propriété, calomnie, diffamation, dénonciation calomnieuse et injures. Le même jour, le Ministère public a indiqué qu'il entendait rendre une ordonnance de classement et a imparti aux Recourants un délai pour présenter des éventuelles réquisitions de preuves. Le 27 mars 2023, les Recourants ont adressé au Ministère public une demande de récusation et d'annulation de tous les actes de procédures effectués à l'encontre de C. (« Policier intimé »), qui était chargé d'enquêter sur les agents de police en cause, sous mandat du Ministère public. Par ordonnance, le Ministère public a rejeté leur requête. Les Recourants ont interjeté un recours contre cette ordonnance.
  • Devant le Tribunal fédéral, les Recourants ont fait valoir la violation de l'art. 6 CEDH, les art. 29 et 30 Cst. et art. 56 let. f CPP, en ce que le Policier intimé en charge de l'enquête ne les aurait pas entendus en qualité de parties plaignantes et aurait apprécié de manière différenciée les photographies produites par les parties. En outre, il aurait omis d'interroger les prévenus et les témoins sur les lésions que les Recourants avaient subies (consid. 2.1).
  • Après avoir rappelé la teneur de l'art. 56 let. f CPP, notre Haute Cour a souligné la différence de fonction qui existe entre une autorité judiciaire (art. 13 CPP) et un membre d'une autorité de poursuite pénale (art. 12 CPP). De la sorte, l'exigence d'impartialité et d'indépendance prévalant pour la première catégorie ne doit pas être strictement suivie par la seconde (consid. 2.3.2).
  • In casu, le Policier intimé disposait d'une large marge de manSuvre afin de déterminer les actes d'enquête à entreprendre sous mandat du Ministère public. A ce titre, la jurisprudence a rappelé que les policiers pouvaient être amenés à prendre position, mais ne revêtaient jamais la qualité de direction de la procédure. Ainsi, c'est à raison que, selon notre Haute Cour, l'instance précédente a jugé que le Policier intimé avait agi conformément aux devoirs de sa charge en ne procédant pas à l'audition des parties plaignantes, alors qu'il disposait de plaintes détaillées suffisantes. Au demeurant, aucun argument ne pouvait être tiré des commentaires du Policier intimé dans son rapport en lien avec les photographies produites dans la mesure où le Ministère public, direction de la procédure, était tout à fait à même d'administrer les preuves qui lui paraissaient pertinentes et de se forger sa propre opinion (consid. 2.4).
  • Partant, le recours a été rejeté.

TF 7B_209/2024 du 8 mai 2024 | Rappel de jurisprudence : la notification de décisions par le biais de la Feuille officielle est une ultima ratio des moyens de communication des autorités pénales (art. 88 CPP)

  • Le Ministère public bernois (« Ministère public») a mené une procédure pénale contre A. (« Recourant ») pour infraction à la loi sur les stupéfiants. Dans le cadre de l'interrogatoire de ce dernier mené par la police, son téléphone portable a été saisi. Le même jour, le Recourant a requis l'apposition des scellés sur cet objet en la justifiant par la présence de messages privés qu'il ne souhaitait pas porter à la connaissance de la police.
  • Par décision, le Zwangsmassnahmengericht bernois (« Tribunal des mesures de contrainte») a fixé un délai ultérieur de cinq jours au Recourant, afin qu'il puisse se déterminer sur la requête de levée des scellés du Ministère public. À défaut de connaître l'adresse de domicile du Recourant, le Tribunal des mesures de contrainte a publié la décision durant un mois dans la Feuille officielle du canton de Berne. Par décision du 19 janvier 2024, la levée des scellés a été accordée. Le Recourant a interjeté un recours contre cette décision.
  • Devant les juges de Mon-Repos, le Recourant s'est plaint de la violation de son droit d'être entendu (art. 6 CEDH ; art. 14 du Pacte II de l'ONU ; art. 29 al. 2 Cst. et art. 3 al. 2 let. c CPP) ainsi que de la notification irrégulière de la décision (art. 88 CPP) (consid. 2.1).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé qu'au sens de l'art. 87 CPP, les communications des autorités pénales doivent être notifiées aux destinataires à leur domicile, leur résidence habituelle ou à leur siège (al. 1) ; par ailleurs, les communications aux parties qui ont désigné un conseil juridique sont valablement notifiées à ce dernier (al. 3). Notre Haute Cour, a en outre exposé les trois cas exhaustifs au sens de l'art. 88 al. 1 CPP, lors desquels la notification formelle peut être remplacée par une communication publique, soit : lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et ne peut être déterminé malgré des recherches raisonnables (let. a), lorsqu'une notification est impossible ou impliquerait des démarches extraordinaires (let. b) ou lorsqu'une partie ayant son domicile ou son siège à l'étranger n'a pas désigné de domicile de notification en Suisse, contrairement aux instructions du tribunal (let. c). La publication officielle doit rester l'ultima ratio, un domicile inconnu ou l'impossibilité de notifier au sens de cette disposition n'étant admis que si toutes les recherches, que l'on peut raisonnablement exiger, ont été entreprises et se sont révélées infructueuses (consid. 2.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a retenu que c'est à juste titre que le Recourant avait soulevé que les conditions de notification par le biais de la Feuille officielle n'étaient pas remplies. En particulier, s'il était vrai que l'autorité pénale ne connaissait pas l'adresse du Recourant, ce dernier avait indiqué, lors de son audition par la police, la possibilité de notifier son courrier à l'adresse de son avocate. Dans ces circonstances, les communications en question auraient dû être envoyées à la mandante désignée ou, à tout le moins, elle aurait dû être interpellée quant à une éventuelle autre adresse de notification du Recourant (consid. 2.3).
  • Partant, le recours a été admis.


TF 7B_246/2024 du 16 mai 2024 | Respect du droit d'être entendu en cas de reformatio in pejus (art. 391 al. 2 CPP)

  • A. (« Recourant»), représenté par Me K., fait l'objet d'une procédure pénale pour soupçons d'obtention frauduleuse d'un faux acte notarié. Lors d'une audition déléguée, Me K. a requis oralement du Ministère public qu'il mette le Recourant au bénéfice de la défense obligatoire en raison de la complexité de l'affaire et du risque de détention préventive, étant précisé que Me K. agissait pour A. comme défenseure de choix. Le Ministère public d'Obwald a accordé au prévenu un délai pour qu'il puisse se déterminer sur cette requête.
  • Par décision du 14 mars 2023, le Ministère public a partiellement accepté la demande du Recourant en désignant Me K. comme défenseure d'office « avec effet à ce jour ». En appel, l'Obergericht du canton d'Obwald a annulé la décision du 14 mars 2023 et rejeté la demande de désignation de Me K. en tant que défenseure d'office.
  • Devant notre Haute Cour, le Recourant a fait valoir que l'instance inférieure n'aurait pas dû modifier en sa défaveur la décision du Ministère public du 14 mars 2023. Cette manière de procéder contreviendrait à l'interdiction de la reformatio in pejus prévue à l'art. 391 al. 2 CPP. Indépendamment de cela, l'instance précédente aurait dû attirer préalablement son attention sur le fait qu'elle envisageait d'annuler intégralement la défense d'office et lui donner ainsi l'occasion de se prononcer (consid. 2.1).
  • Les Juges de Mon-Repos ont, à plusieurs reprises, statué sur l'interdiction de la reformatio in pejus en soulignant, d'une part, qu'elle ne s'applique pas aux recours contre des ordonnances procédurales (art. 393 CPP) et d'autre part, que cette interdiction vise à garantir que la personne accusée ou condamnée puisse exercer son droit de recours sans courir le risque que le jugement sur l'action pénale ou civile soit modifié à son détriment (consid. 2.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a admis que l'instance précédente était habilitée à modifier la décision attaquée au détriment du Recourant (art. 391 al. 1 let. b CPP). En revanche, dans sa démarche, elle aurait dû respecter le droit d'être entendu de ce dernier, en lui offrant la possibilité de se déterminer sur la décision défavorable envisagée (art. 29 al. 2 Cst.) (consid. 2.3).
  • Dès lors, l'instance précédente n'était pas habilitée à annuler la décision du Ministère public du 14 mars 2023 en admettant (partiellement) le recours et à la remplacer par une décision moins favorable au Recourant sans attirer préalablement l'attention de ce dernier sur cette possibilité et sans lui donner l'occasion de prendre position (consid. 2.4).
  • Partant, le recours a été admis.

TF 7B_6/20241 du 6 mai 2024 | Absence de violation du principe de territorialité en cas d'échanges de messages sur Threema entre agents infiltrés en Suisse et prévenu à l'étranger dans le cadre d'une investigation secrète pour narcotrafic (art. 285a CPP)

  • Intimé», « Prévenu ») a fait l'objet d'une instruction pénale en Suisse pour infraction à la LStup et pour blanchiment d'argent. L'enquête a débuté en juin 2020 et une investigation secrète a été ordonnée par le Ministère public fribourgeois (« Ministère public /Recourant »), puis autorisée par le Tribunal des mesures de contrainte. Un rapport d'enquête compilant les échanges entre les agents infiltrés et l'Intimé a par la suite été déposé. Par requête, le Prévenu a sollicité la suppression d'échanges avec certains agents infiltrés en raison d'une supposée violation du principe de la territorialité, dès lors qu'il ne se trouvait pas en Suisse au moment des échanges et qu'aucune commission rogatoire couvrait ces mesures. Le Ministère public a rejeté sa requête, mais cette dernière a été partiellement admise, par arrêt, devant la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. Le Ministère public a interjeté un recours en matière pénale contre cet arrêt.
  • Devant le Tribunal fédéral, le Recourant a reproché à l'autorité précédente d'avoir retenu que l'investigation secrète mise en Suvre en Suisse lors de la phase d'instruction pénale aurait eu des effets directs à l'étranger et partant aurait violé le principe de territorialité (consid. 2.1).
  • Notre Haute Cour a commencé par rappeler la teneur de l'art. 285a CPP (« investigation secrète ») et a souligné, qu'au vu de la systématique du CPP, cette dernière constitue une mesure de contrainte (consid. 2.3 cum 2.3.1).
  • En vertu du principe de la territorialité, un État ne peut en principe exercer les prérogatives liées à sa souveraineté qu'à l'intérieur de son propre territoire. A contrario, un État n'est pas habilité à effectuer des mesures d'instruction et de poursuite pénale sur le territoire d'un autre État sans le consentement de ce dernier. Les actes de puissance publique accomplis par un État, ou par ses agents, sur le territoire d'un autre État sans un tel accord sont inadmissibles et constituent une atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'État concerné, ce qui constitue une violation du droit international privé. Par ailleurs, la jurisprudence a précisé que le simple fait que des actes aient des effets sur le territoire de l'État en question est suffisant pour retenir une telle violation (consid. 2.4.1).
  • Dès lors, une mesure de contrainte sur le territoire d'un État tiers ne peut être mise en Suvre que sous réserve du consentement préalable de l'État en cause ou en vertu du droit international (consid. 2.4.4).
  • Dans la présente affaire, à titre préjudiciel, les juges de Mon-Repos ont rappelé que l'enquête pénale visait à démanteler un trafic de stupéfiants dont le résultat s'était produit en Suisse. Partant, en l'absence d'actions proprement dites sur un territoire étranger de la part d'agents infiltrés suisses, le nSud du problème résidait dans l'établir si les échanges de messages entre les agents infiltrés, sur territoire helvétique, et l'Intimé, à l'étranger, étaient propre à fonder un acte officiel ayant des effets contraignants sur un État tiers et donc violaient la souveraineté dudit pays (consid. 2.7.1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a retenu d'une part, que les échanges entretenus entre les agents infiltrés, lors de la mission, et l'Intimé par le biais de messageries sur des téléphones cellulaires, étaient un moyen propre à faire avancer l'enquête et d'autre part, que l'usage d'un téléphone cellulaire ne permettait pas de localiser immédiatement son interlocuteur, en ce que les techniques actuelles permettaient de facilement masquer un numéro ou de se connecter à un réseau de téléphonie étranger, voire de communiquer par le biais de messageries instantanées. Partant, le mode utilisé pour mener l'investigation secrète ne permettait pas de retenir que celle-ci aurait déployée des effets sur un territoire étranger (consid. 2.8.2).
  • Notre Haute Cour a tout de même précisé que si des implications internationales étaient souvent de mise dans les affaires en lien avec le narcotrafic, les agents infiltrés avaient procédé par le biais d'un mode de communication sis en Suisse (Threema), en utilisant un appareil permettant, depuis ce pays, un accès direct aux échanges litigieux. En procédant de la sorte, l'Intimé (certes à l'étranger) avait simplement reçu une invitation à communiquer, laquelle ne développait aucun effet contraignant et ne pouvait s'apparenter à des actes officiels déployant des effets sur un territoire étranger (consid. 2.8.3).
  • Partant, le recours interjeté par le Ministère public a été admis.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ / IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_751/20232 du 29 avril 2024 | Primauté du Traité conclu entre le canton de Thurgovie et le Royaume de Bavière en 1834 sur la LDIP : reconnaissance du jugement de faillite étranger non nécessaire pour l'administrateur étranger aux fins d'obtenir une cession de créance (art. 260 LP)

  • La société B. (« Filiale»), dont le siège se trouve en Allemagne est une filiale de la société C.
    Société-mère »), dont le siège se trouve en Suisse.
  • Par décision du 29 janvier 2019, l'Amtsgericht de Munich a ordonné l'administration provisoire de l'insolvabilité de la Filiale. A cet effet, Me D.
    (à Munich) a été nommé Insolvenzverwalter à titre provisoire.
  • Par décision du 18 février 2019, le BezirksgerichtTribunal de district ») de Kreuzlinga ouvert la faillite de la Société-mère.
  • Par décision du 16 octobre 2019, l'Amtsgericht de Munich a nommé Me D. Insolvenzverwalter définitif de la Filiale.
  • Dans la procédure de faillite de la Société-mère, l'état de collocation a été dressé et l'Office des faillites du canton de Thurgovie (« Office») a colloqué une créance de la Filiale (« Créance n° xxx ») en troisième classe ; une seconde créance (« Créance n° yyy »), de troisième classe, a également été colloquée en faveur de A. (« Recourant »), ancien membre du conseil d'administration de la Société-mère.
  • Le 10 décembre 2020, le Recourant a introduit une action en contestation négative de l'état de collocation auprès du Tribunal de district afin de faire retirer la Créance n° xxx. L'action a été rejetée par décision du 7 novembre 2022.
  • Dans l'intervalle, l'Office des faillites a procédé à la faillite de la Société-mère, en cédant su demande de Me. D, par décision du 23 août 2021, à la Filiale, les prétentions en responsabilité à l'égard des organes de la société-mère (art. 752 ss CO cum 260 LP) et en clôturant in fine la procédure de faillite par décision du 13 septembre 2021.
  • Le 26 avril 2023, le Recourant a saisi l'Obergericht du canton de Thurgovie en tant qu'autorité de surveillance et a demandé la constatation de la nullité des décisions rendues par l'Office (e. état de collocation du 12 novembre 2020, collocation de la Créance n° xxx et la cession des prétentions en responsabilité). L'Obergericht a rejeté la demande par décision du 18 septembre 2023, si bien que le Recourant a saisi le Tribunal fédéral.
  • Premièrement, notre Haute Cour a rappelé que d'après la pratique jurisprudentielle, lorsque le tribunal de la faillite a déclaré la procédure de faillite close, un recours en matière de droit des poursuites n'est plus recevable contre les décisions prises par l'office des faillites au cours de la procédure, sous réserve des cas prévus à l'art. 269 LP (consid. 4.2.1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a considéré que c'était à tort que le Recourant avait fait valoir que la collocation de la Créance n° xxx était nulle au sens de l'art. 22 LP. En effet, selon notre Haute Cour, une modification de la masse passive de la faillite après la clôture de la faillite est exclue. La compétence de constater la nullité par les autorités de surveillance se fonde sur leur pouvoir de surveillance selon l'art. 13 al. 1 LP. Dès lors, lorsque le Recourant a demandé à l'Autorité de surveillance de rendre des décisions sur la collocation des créances après la clôture de la faillite, cette compétence ne revenait d'ores et déjà plus à cette autorité. Partant, son objection n'était plus pertinente (consid. 4.2.3).
  • Deuxièmement, en lien avec la cession de créance au sens de l'art. 260 LP, le Recourant a soulevé qu'une exception s'appliquait en lien avec la clôture de la faillite (consid. 4.3).
  • Le Tribunal fédéral s'est d'abord référé à l'art. 95 OAOF, en précisant que lorsque des droits juridiques de la masse ont été cédés à certains créanciers de la faillite au sens de l'art. 260 LP, cela n'empêche pas la clôture de la faillite. Au sens de la jurisprudence, et dans cette configuration, l'Office des faillites reste compétent pour révoquer la décision de cession même après la clôture de la procédure de faillite (consid. 4.3.1 cum3.2).
  • Si l'office des faillites reste compétent pour révoquer la décision de cession malgré la clôture de la faillite, l'examen et l'éventuelle constatation de la nullité (art. 22 LP) d'une décision de cession par l'autorité de surveillance est en principe possible malgré la clôture de la faillite (consid. 4.3.2).
  • Notre Haute Cour a e ensuite rappelé qu'en Suisse, l'administration de la faillite étrangère est uniquement habilitée à requérir la reconnaissance d'une décision de faillite étrangère (art. 166 al. 1 LDIP). Par ailleurs, l'intervention de l'administration de la faillite étrangère est possible après la reconnaissance de la décision étrangère et la renonciation à la mise en Suvre d'une procédure ancillaire (art. 174a al. 5 LDIP) (consid. 4.4.1).
  • La question de savoir si une cession au sens de l'art. 260 LP à une administration de la faillite étrangère est compatible avec les règles du droit international de la faillite (art. 166 ss LDIP) peut être examinée par les autorités de surveillance en invoquant la nullité (art. 22 LP) (consid. 4.4.1).
  • Lors de l'appréciation de la validité de la cession contestée de droits en vertu de l'art. 260 LP, il convient de tenir compte de la réserve des traités internationaux (art. 30a LP ; art. 1 al. 2 LDIP) (consid. 4.5).
  • La doctrine majoritaire est d'avis que le Traité conclu avec le Royaume de Bavière le 11 mai 1834 (RB 281.32), dont la Thurgovie est l'un des cantons signataires, est toujours en vigueur ou n'a pas été abrogée. Ce Traité consacre notamment la reconnaissance de l'universalité et de la force attractive de la faillite sur le territoire des parties contractantes (consid. 4.5.1).
  • A l'occasion de la révision des art. 166 ss LDIP, le Conseil fédéral a annoncé son intention de « dénoncer ou d'annuler d'un commun accord les traités conclus au début du XIXe siècle (...) par une série de cantons avec des entités territoriales allemandes », dont le Traité de 1834 conclu avec le Royaume de Bavière (consid. 4.5.4).
  • Après l'adoption de la révision du chapitre 11 de la LDIP, l'Office fédéral de la justice a indiqué dans un communiqué de presse du 14 septembre 2018 que « les clarifications et les discussions avec les autorités allemandes» pouvaient commencer. Ces démarches n'ont apparemment pas abouti (consid. 4.5.4).
  • Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré que pour répondre à la question de la validité des anciens traités sur les faillites, il convenait de se référer aux règles du droit constitutionnel et du droit international public (consid. 4.5.5).
  • En vertu de l'art. 56 al. 1 Cst., les cantons peuvent conclure des traités avec l'étranger dans les domaines relevant de leur compétence. Les traités cantonaux avec l'étranger sont certes attribués au droit cantonal. En raison de leur nature, ils sont néanmoins considérés, de l'avis général, comme du droit international public (consid. 4.5.5).
  • Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a confirmé le principe de la primauté du droit international sur le droit national, sous réserve d'une éventuelle exception : si le Parlement a délibérément adopté une loi contraire au droit international, c'est cette loi qui prime (consid. 4.5.5).
  • Notre Haute Cour a relevé que la LDIP, avec son exigence de reconnaissance de la faillite étrangère, est en contradiction avec l'universalité de principe de la faillite, telle qu'elle est fixée par le droit international public dans l'ancien Traité conclu avec la Bavière (consid. 4.5.5).
  • In casu, il n'existe toutefois aucun indice selon lequel le Parlement aurait délibérément voulu rompre l'ancien Traité avec la Bavière lors de la création ou de la révision de la LDIP. Au contraire, la dénonciation ou l'abrogation des anciens traités sur les faillites sont expressément envisagées, sans que cela ne se soit toutefois produit (consid. 4.5.5).
  • In casu, il n'y a pas eu de reconnaissance de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité allemande de la Filiale en Suisse. Néanmoins, l'Office des faillites a tout de même cédé des prétentions au sens de l'art. 260 LP en faveur de la Filiale, après que les créanciers de la Société-mère aient renoncé à les faire valoir. Le Tribunal fédéral a retenu que c'était à raison que l'Obergericht avait nié la nullité de cette opération en se basant sur le Traité conclu avec le Royaume de Bavière en 1834, qui prime la LDIP et qui est applicable dans le cas d'espèce.
  • En d'autres termes, la reconnaissance de la décision allemande selon les art. 166 ss LDIP n'était donc pas nécessaire et on ne pouvait pas dénier à l'administrateur de la faillite allemande le droit de déposer, dans la présente faillite d'un tiers débiteur, la demande de cession d'une créance selon l'art. 260 LP. Ainsi, on ne peut pas voir dans la décision de cession de l'Office du 23 août 2021 une violation des dispositions de l'art. 22 LP (consid. 4.6).
  • Partant, le recours a été rejeté.

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

1. Arrêt destiné à publication.

2. Arrêt destiné à publication.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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