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20 August 2024

T1290/23 : Insuffisance D'exposé D'un Brevet Se Référant À Une Norme

Une Chambre de recours de l'Office européen des brevets a récemment pris position sur la suffisance de l'exposé d'une invention faisant appel à une norme de télécommunications non finalisée ...
France Intellectual Property
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Une Chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB) a récemment pris position sur la suffisance de l'exposé d'une invention faisant appel à une norme de télécommunications non finalisée à la date de dépôt du brevet (décision T1290/23). A notre connaissance, cette question n'avait fait l'objet d'aucune décision antérieure de l'OEB.

Une Chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB) a récemment pris position sur la suffisance de l'exposé d'une invention faisant appel à une norme de télécommunications non finalisée à la date de dépôt du brevet (décision T1290/23).

A notre connaissance, cette question n'avait fait l'objet d'aucune décision antérieure de l'OEB.

Résumé de la décision T1290/23

La revendication 1 du brevet portait sur un point d'accès, et mentionnait explicitement que ce point d'accès était destiné à « faciliter des communications dans un réseau compatible avec la norme IEEE 802.11ax » (cette norme définit la 6ème génération de Wi-Fi).

Cependant, la norme en cause n'a été publiée dans sa forme définitive qu'en 2020, soit plus de 4 ans après la date de dépôt du brevet. Durant cette période, le contenu de cette norme a fortement évolué. Ainsi, il n'existait avant la date de dépôt qu'une version préliminaire de la norme.

Un opposant a demandé la révocation du brevet au motif que l'homme du métier ne pouvait pas exécuter l'invention car celle-ci n'était pas exposée de façon suffisamment claire et complète dans le brevet1. L'argument principal de l'opposant étant que la norme revendiquée doit s'entendre comme la norme Wi-Fi 6 dans sa forme finalisée, et que l'homme du métier ne pouvait pas connaître ou même anticiper son contenu à la date de dépôt compte tenu de nombreuses lacunes de la version préliminaire.

De son côté, le titulaire a argumenté que :

  • la norme ne sert dans la revendication 1 qu'à définir un « contexte », mais n'a pas de rapport avec les autres caractéristiques mentionnées dans la revendication 1 ;
  • elle ne concerne pas directement le point d'accès revendiqué mais un réseau auquel se connecte le point d'accès ;
  • elle n'a pas joué de rôle décisif pour convaincre l'OEB que l'invention était brevetable (la norme a été ajoutée dans la revendication 1 durant l'examen devant l'OEB afin de surmonter une objection de manque de clarté).

Dans sa décision, la Chambre rappelle, que, conformément à la jurisprudence, la question à se poser est la suivante : l'homme du métier était-il capable de réaliser un point d'accès opérationnel sur la base de la description du brevet et de ses connaissances générales disponibles à la date de dépôt du brevet, sans effort excessif et sans devoir exercer une activité inventive ?

La Chambre répond par la négative, en pointant les nombreuses lacunes de la version préliminaire en cause. En particulier, la Chambre relève que la revendication 1 mentionne deux trames (trigger frame, uplink frame) qui étaient des nouveautés de la norme IEEE 802.11ax (ces trames n'existaient pas dans les normes relatives aux précédentes générations de Wi-Fi), et qu'il est irréaliste de considérer que l'homme du métier aurait été en mesure d'implémenter ces trames sans effort excessif.

Nos commentaires sur cette décision

Obtenir des brevets essentiels à des normes constitue un atout majeur dans le domaine des télécommunications. De tels brevets peuvent constituer des sources de profits importants lorsque les normes correspondantes sont utilisées à large échelle.

Toutefois, la décision T1290/23 souligne l'importance du timing à observer pour déposer valablement une demande de brevet sur une invention se référant à une norme en cours d'élaboration. En effet :

  • un dépôt trop tardif augmente le risque d'un défaut de nouveauté ou d'activité inventive de l'invention, en particulier vis-à-vis de versions de norme rendues accessibles au public avant la date de dépôt 2 ;
  • à l'opposé, un dépôt trop hâtif, réalisé alors que la norme associée n'en est qu'à ses balbutiements, est susceptible de conduire à une insuffisance d'exposé clair et complet de l'invention, comme par exemple dans la présente affaire.

Cette décision rappelle également les répercussions graves que peuvent avoir des modifications à première vue anodines dans les revendications d'une demande de brevet au cours de son examen. Dans la présente affaire, le titulaire ne s'imaginait peut-être pas que l'ajout d'une simple référence à la norme IEEE 802.11ax dans la revendication 1 aurait pour conséquence ultime la révocation de son brevet !

Une question intéressante est de savoir si la Chambre aurait pu aboutir à une décision différente si la revendication 1 avait été rédigé différemment. A notre sens, l'opposant aurait probablement eu davantage de difficultés à convaincre la Chambre de révoquer le brevet si la revendication 1 n'avait pas explicitement cité la norme IEEE 802.11ax et si les trames de la revendication 1 avait porté des noms « neutres » n'évoquant pas directement cette même norme (uplink frame/trigger frame). Dans une telle situation, la Chambre aurait alors pu apprécier la suffisance d'exposé de l'invention sans devoir s'appuyer sur la version préliminaire lacunaire de la norme.

En définitive, la décision T1290/23 montre qu'obtenir un brevet solide sur une invention utilisant une norme implique une stratégie réfléchie en amont, tant dans le choix du timing de dépôt que dans la formulation des revendications.

Forte de son expertise, l'équipe numérique de Regimbeau se tient à votre disposition pour vous accompagner dans l'élaboration de vos stratégies sur les brevets essentiels à des normes.

Footnotes

1 Exigence imposée par l'article 83 de la Convention sur le brevet européen.

2 A ce sujet, voir par exemple la décision T2239/15.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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