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9 August 2024

La décision Restoule confirme que la Couronne a violé ses engagements à l'égard des bénéficiaires autochtones de deux Traités Robinson.

Le 26 juillet 2024, la Cour suprême du Canada (« CSC ») a rendu sa décision dans l'affaire Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27. La Cour a conclu que la Couronne...
Canada Government, Public Sector
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Résumé

Le 26 juillet 2024, la Cour suprême du Canada (« CSC  ») a rendu sa décision dans l'affaire Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27. La Cour a conclu que la Couronne avait violé le Traité Robinson-Huron et le Traité Robinson-Supérieur (collectivement les « Traités Robinson »). En effet, la CSC a déclaré que la Couronne se devait de mettre en Suvre les Traités Robinson de manière diligente et d'augmenter les annuités dues aux bénéficiaires des Traités Robinson (respectivement les « Bénéficiaires du lac Supérieur » et les « Bénéficiaires du lac Huron » et, ensemble, les « Bénéficiaires  »). S'exprimant au nom de la Cour, le juge Jamal a précisé que les revendications des Bénéficiaires remontant à 1875 n'étaient pas prescrites en vertu du droit ontarien.

En rendant sa décision, la CSC a donné à la Couronne jusqu'au 26 janvier 2025 pour conclure une entente de règlement avec les Bénéficiaires du lac Supérieur, lesquels réclament 126 milliards de dollars. Une entente de règlement est intervenue avec les Bénéficiaires du lac Huron en juin 2023 pour 10 milliards de dollars.

Contexte factuel

En 1850, les Anichinabés 1 du lac Huron et du lac Supérieur ont signé les Traités Robinson, cédant ainsi plus de 100 000 kilomètres carrés de leur territoire à la Couronne en échange, entre autres, d'un paiement annuel perpétuel. Les Traités Robinson comportaient une clause indiquant que les annuités seraient majorées au fil du temps (la « Clause d'augmentation »). Or, les annuités n'ont été augmentées qu'une seule fois en 1875, amenant alors la valeur de l'annuité à 4 $ par personne.

En 2001 et en 2014, les Bénéficiaires du lac Supérieur et les Bénéficiaires du lac Huron ont respectivement déposé des demandes alléguant que la Couronne avait violé la Clause d'augmentation, étant en défaut d'avoir augmenté la valeur des annuités depuis 1875.

L'historique judiciaire

Les pourvois des Bénéficiaires ont été instruits ensemble et traités en trois étapes par les tribunaux, soit (1) l'interprétation des traités, (2) les moyens de défense présentés par l'Ontario, soit l'immunité de la Couronne et la prescription, et (3) les dommages-intérêts réclamés par les demandeurs et l'allocation de responsabilité entre le Canada et l'Ontario.

Concernant les première et deuxième étapes, la Cour supérieure et la Cour d'appel de l'Ontario ont accueilli les pourvois; ceci, avec une importante dissidence devant la Cour d'appel de l'Ontario. L'Ontario et le Canada ont déposé une demande d'autorisation d'appel qui a été accueillie par la CSC en juin 2022.

Le 17 juin 2023, le Canada, l'Ontario et les Bénéficiaires du lac Huron ont conclu une entente de règlement pour 10 milliards de dollars pour les revendications antérieures fondées sur le Traité Robinson-Huron. Un tel règlement n'est pas encore intervenu pour les Bénéficiaires du lac Supérieur, lesquels réclament 126 milliards de dollars en dommages. En novembre 2023, la Cour suprême a ordonné la suspension des discussions de règlement jusqu'au prononcé de sa décision.

La décision de la CSC

La CSC a statué unanimement en faveur des Bénéficiaires du lac Supérieur en prononçant les déclarations suivantes quant aux obligations de la Couronne à l'égard des Traités Robinson.

  • La Couronne a une obligation de se demander « de temps en temps » si elle peut majorer les annuités sans subir de pertes. S'il lui est possible de majorer les annuités, la Couronne doit exercer son pouvoir discrétionnaire et décider si elle le fait et, si oui, de combien.
  • L'exercice de ces pouvoirs discrétionnaires par la Couronne est susceptible d'être contrôlé par les tribunaux et doit être exercé avec diligence, honorablement et de façon juste et libérale, tout en entretenant une relation avec les Anichinabés fondée sur les valeurs du respect, de la responsabilité, de la réciprocité et du renouvellement.
  • Appliquant ces principes au cas des Bénéficiaires du lac Supérieur, la Cour a conclu que la Couronne devait exercer son pouvoir discrétionnaire et majorer les annuités à l'égard du passé. La Cour a noté la durée de la violation et son caractère « odieux ». 

Dans son analyse très critique, la Cour a estimé que les Anichinabés se sont retrouvés avec « une promesse vide de contenu » et a qualifié la conduite de la Couronne de « parodie ».

De façon plus générale, la décision fournit des indications sur un certain nombre de questions juridiques pertinentes aux relations entre la Couronne et les Autochtones, qui sont décrites plus en détail ci-après.

Interprétation des traités historiques

La CSC a examiné et confirmé les principes énoncés dans ses décisions antérieures régissant l'interprétation des traités historiques, soulignant que :

  • les traités sont des accords sui generis parce qu'ils « sont le produit de la relation particulière entre la Couronne et les peuples autochtones qui vise à parvenir à la réconciliation » (par. 70) ; 
  • les droits issus de traités doivent être interprétés conformément à l'honneur de la Couronne qui impose une obligation de traiter honorablement avec les peuples autochtones ;
  • la distinction avec les traités modernes réside dans « la précision et la complexité relatives du document récent » (par. 76) pour lequel il est nécessaire de « faire preuve de retenue à l'égard de leur libellé » (par. 77). 

La Cour a conclu que, bien que les conclusions de fait qui influent sur l'interprétation d'un traité commandent la déférence (et ne sont susceptibles de contrôle que pour les erreurs manifestes et déterminantes), l'interprétation d'un traité lui-même est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, compte tenu de la nature constitutionnelle des droits issus des traités.

Dans l'interprétation d'un traité, l'objectif du tribunal est de déterminer l'interprétation qui se rapproche le plus de l'intention commune des parties. Cet exercice exige un processus en deux étapes, soit (1) d'examiner le libellé de la clause pour établir une fourchette d'interprétations possibles et (2) d'évaluer ces interprétations en fonction du contexte historique et culturel du traité. Les intérêts des deux parties à l'époque de la signature du traité doivent être conciliés, mais les ambiguïtés doivent être tranchées en faveur des signataires autochtones bénéficiaires.

L'honneur de la Couronne

L'honneur de la Couronne (principe requérant aux gouvernements de traiter honorablement avec les peuples autochtones) a été un facteur déterminant dans la décision Restoule. Bien que l'honneur de la Couronne ne puisse pas en soi fonder une cause d'action, il demeure un principe constitutionnel fondamental, susceptible d'entraîner un éventail d'obligations. En l'espèce, la Cour a conclu que l'honneur de la Couronne donnait naissance à une obligation de mettre en Suvre avec diligence les promesses prises à la suite de la signature des Traités Robinson. La Cour a également indiqué que l'honneur de la Couronne implique une réparation qui vise à favoriser la réconciliation.

La portée de l'obligation fiduciaire de la Couronne

Au-delà des obligations découlant de l'honneur de la Couronne, la Cour a examiné si la Couronne avait une obligation ad hoc ou sui generis à l'égard des Bénéficiaires.

En ce qui a trait à l'obligation fiduciaire ad hoc, la Cour a souligné que la preuve de l'existence d'une telle obligation exige la prise d'un engagement de la Couronne à agir dans l'intérêt des Bénéficiaires, à l'exclusion des intérêts d'autres personnes. Or, la Clause d'augmentation exige clairement que la Couronne tienne compte de l'intérêt public, de sorte qu'aucune obligation fiduciaire ad hoc n'a pu être établie.

De même, la Cour a rejeté la demande des Bénéficiaires de reconnaître à la Couronne une obligation fiduciaire sui generis. Une telle obligation permet à la Couronne de trouver un équilibre entre les intérêts concurrents, contrairement aux obligations fiduciaires ad hoc. En revanche, les obligations fiduciaires sui generis sont liées à des intérêts autochtones spécifiques ou identifiables qui ne peuvent être établis par un traité ou la loi (par. 238). Ainsi, bien que la Cour n'ait pas rejeté catégoriquement la possibilité qu'un intérêt autochtone particulier puisse être identifié dans cette affaire, son raisonnement suggère qu'il sera difficile d'établir que cet intérêt donnerait lieu à une obligation fiduciaire sui generis dans le contexte d'un traité.

La prescription du pourvoi

La Cour a conclu que la législation ontarienne en matière de prescription ne s'appliquait pas aux réclamations pour violation de traité.

Toutes les parties ont convenu que le cadre légal applicable était la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles (L.R.O. 1990, c. L.15, « Loi sur la prescription de l'Ontario »). La Cour a fait remarquer que, contrairement à d'autres lois provinciales sur la prescription des recours (y compris celles de la Colombie-Britannique et l'Alberta), la Loi sur la prescription de l'Ontario ne comporte pas de disposition fourre-tout ou omnibus englobant toute réclamation non autrement couverte par la loi. Ceci permet également de réconcilier cette conclusion avec la décision de la CSC dans Jim Shot Both Sides, 2024 SCC 12, décision résumée ici (en anglais seulement).

En l'absence de disposition expresse, les revendications des demandeurs ne sont pas prescrites.

Application des principes aux Traités Robinson

La Cour a ultimement décidé que la Clause d'augmentation impose à la Couronne d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'augmenter les annuités au-delà du « plafond souple » de 4 $ dans la mesure où elle ne subira pas de perte.

La Cour conclut que la Couronne aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire par le passé. Les Traités Robinson intervenus entre les parties permettaient à la Couronne d'obtenir les terres cédées pour procéder à la colonisation et à l'exploitation des minéraux alors que les Anichinabés étaient prêts à faire confiance à la Couronne pour agir avec justice et libéralité afin de majorer l'annuité lorsque les circonstances le justifieraient (par. 195).

La Cour a vivement condamné le fait que la Couronne n'a jamais respecté ses obligations en vertu des Traités Robinson, soulignant que cette dernière « a perdu l'autorité morale qui lui permettrait de simplement dire "faites-nous confiance" » (par. 262). Cependant, la Cour a décidé que la Couronne devait avoir la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de la Clause d'augmentation. La CSC s'exprimait ainsi :

« [bien] qu'il n'appartienne pas aux tribunaux de forcer la Couronne à exercer son pouvoir discrétionnaire d'une manière particulière, il est tout à fait de leur ressort de contrôler la façon dont la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire pour assurer le respect de la Constitution — pour veiller à ce que la Couronne exerce ce pouvoir conformément à ses obligations issues de traités et au principe constitutionnel de l'honneur de la Couronne » (par. 299).

La Cour a donné la directive à la Couronne d'entamer véritablement et honorablement les discussions avec les Bénéficiaires du lac Supérieur afin de réparer les violations de ses obligations constitutionnelles à l'égard des Traités Robinson.

Même si la Cour offre à la Couronne la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire, elle a souligné que sa décision n'empêche pas la Couronne d'être judiciairement contrainte à payer une certaine somme d'argent. Ainsi, la Couronne a jusqu'au 26 janvier 2025 pour négocier un règlement avec les Bénéficiaires du lac Supérieur, délai qui peut être repoussé à la demande des Bénéficiaires du lac Supérieur.

Advenant que les parties n'arrivent pas à un règlement avant la date d'échéance, la Couronne devra user de son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer la compensation appropriée pour les violations passées du traité. Si les Bénéficiaires du lac Supérieur ne sont pas satisfaits de la décision unilatérale de la Couronne, ils pourront demander une révision judiciaire du processus ayant mené la Couronne à déterminer un tel montant. Dans ce cas, un tribunal pourrait, si approprié, ordonner à la Couronne de déterminer à nouveau le montant de la compensation ou déterminer lui-même le montant approprié pour les violations passées.

Cette décision de la Cour est plutôt unique, en ce que la Cour n'assume généralement pas un rôle de surveillance de la conduite de la Couronne dans ses relations avec les peuples autochtones. Ici, par contre, la Cour considérait qu'un jugement déclaratoire serait insuffisant considérant que la Couronne a violé et nié ses obligations depuis près de 150 ans.

Footnote

1. La CSC utilise le terme Anichinabé pour référer aux parties Anishinaabe.

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