In its ruling of May 22, 2024, the French Supreme Court (Cour de cassation) established the principle of transfer of criminal liability for any legal entity with an economic activity, thus moving away from its ruling restricted to public limited companies and abandoning the solution based on European law which had prevaile
Par un arrêt remarqué du 22 mai 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide d'étendre le transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante à toute société dotée de la personnalité morale, peu important sa forme sociale dès lors qu'elle a une activité économique (Cass. crim., 24 avr. 2024, n° 22-83.373, F-D : JurisData n° 2024-005999 ; Dr. sociétés 2024, comm. 85, note R. Salomon).
Déjà, en 2020, la Cour de cassation avait opéré un revirement très remarqué en adoptant cette solution, perçue alors comme une révo lution puisqu'elle mettait fin à une jurisprudence qui se fondait sur le principe selon lequel nul n'est responsable pénalement que de son propre fait et qui empêchait ainsi, en cas de fusion, que la responsa bilité pénale de la société absorbante soit engagée sur le fondement d'une infraction commise par la société absorbée. Mais la solution dégagée en 2020 était alors limitée aux sociétés anonymes en se fondant sur l'article 121-1 du Code pénal, l'article L. 236-3 du Code de commerce et les dispositions de l'article 19, § 1, de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des so ciétés anonymes (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955 : JurisData n° 2020-019279 ; JCP E 2021, 1006, note F. Stasiak).
Par son récent arrêt de 2024, la Cour de cassation abandonne dé sormais toute justification à la directive précitée et juge désormais, s'agissant en l'espèce de sociétés à responsabilité limitée :
- qu'en vertu de l'article L. 236-3 du Code de commerce, la fusion absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n'entraîne pas sa liquidation, de même que le patrimoine de la so ciété absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les associés de la première deviennent associés de la seconde ;
- qu'en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l'opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l'entreprise ;
- qu'il en résulte que l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opé ration de sorte que la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la seconde avant l'opération de fu sion-absorption.
- La consécration d'un principe de transfert de responsabilité pénale
La Cour de cassation consacre un principe de transfert de responsa bilité pénale pour toute personne morale ayant une activité écono mique, se détachant de sa décision restreinte aux seules sociétés ano nymes en abandonnant la solution du fondement européen qui avait prévalu dans son arrêt du 25 novembre 2020. Comme elle l'avait amorcé en 2020, la Cour de cassation consacre ainsi un principe de transfert de responsabilité pénale fondé sur l'analyse économique, son raisonnement s'appuyant sur une démarche pragmatique plus cohérente avec le processus décisionnel des sociétés et confirmant l'abandon de l'approche anthropomorphique de l'opération de fu sion-absorption qui assimilait la dissolution d'une personne morale au décès d'une personne physique pour privilégier la spécificité de la personne morale dont l'activité économique se poursuit au sein de la société qui l'a absorbée.
Pour mieux marquer l'évidence du principe consacré, la Cour de cassation précise que cette solution est d'application rétroactive puisqu'applicable aux fusions-absorptions conclues postérieure ment au 25 novembre 2020, soit à la date de son arrêt précité par lequel, au contraire, elle ne faisait alors courir sa solution nouvelle que postérieurement à son arrêt du 25 novembre 2020. Au soutien de son choix, la Cour avance que « sa doctrine était raisonnablement prévisible » depuis son arrêt de 2020, ce qui revient toutefois à prêter au justiciable et à son conseil des capacités divinatoires quelque peu critiquables au regard des exigences de sécurité juridique, découlant de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence européenne selon laquelle l'application rétroac tive d'un revirement imprévisible de jurisprudence in defavorem méconnaît le principe de légalité criminelle (CEDH, 10 oct. 2006, n° 404003/02, Pessino c/ France). Sans doute la Cour de cassation a t-elle fait sienne les écrits d'un de ses anciens premiers avocats géné raux : « la véritable difficulté, pour la Cour de cassation, ce n'est pas de veiller à l'application des textes clairs, c'est d'interpréter la loi, c'est à-dire : la préciser, quand elle est trop générale ; la clarifier, quand elle est obscure ; la désigner, quand elle est indéterminée ; l'inventer, quand elle est muette » (M. Jéol, L'image doctrinale de la Cour de cassation : La documentation française, 1994, p. 37).
- Le risque pénal et les enjeux de conformité
La solution consacrée par la Cour de cassation met en lumière l'im portance des enjeux de conformité en matière de fusion-absorption. Il importe désormais d'intégrer très sérieusement le risque pénal dans les opérations de fusions-acquisitions et de private equity avec des due diligences poussées et spécifiques. En d'autres termes, l'ac quéreur doit cerner le passif pénal de la cible, révélé ou potentiel, afin d'évaluer précisément les risques. En fonction des résultats de ces audits, il pourra notamment négocier une baisse de prix, deman der à provisionner une éventuelle somme conséquente dans les garanties de passif, mettre en œuvre des clauses de déclarations et de garanties très contraignantes, voire décider de mettre un terme à l'opération. Si les sociétés absorbantes sont depuis longtemps res ponsables pénalement en cas de fusion frauduleuse - ce que la Cour de cassation a encore récemment eu l'occasion de rappeler en sou lignant que le juge doit rechercher d'office le caractère éventuelle ment frauduleux du montage destiné à échapper à la sanction pénale (Cass. crim., 13 avr. 2022, n° 21-80.653 : JurisData n° 2022-005608), l'arrêt du 22 mai 2024 illustre qu'un régime de responsabilité pénale quasi automatique des personnes morales est ainsi clairement en train de se dessiner.
Enfin, si l'arrêt de 2020 avait semblé limiter la responsabilité aux peines d'amende et ou de confiscation, ce que redit l'arrêt de 2024, aucun argument n'apparaît a priori s'opposer à ce que la responsa bilité pénale soit transférée dans sa globalité. Les autres sanctions prévues notamment à l'article 131-39 du Code pénal n'apparaissent pas exclues au regard de la généralité de la solution posée. Toute fois, cette restriction apparente demeure une source d'incertitude et pourrait reposer sur le fait que, la responsabilité pénale suivant le patrimoine de la société absorbée transféré à la société absorbante, seules des sanctions pécuniaires - et donc leurs conséquences - pourraient être anticipées lors des négociations relatives à la fusion projetée. En l'absence de clarification, cette problématique se pose donc pour d'autres peines.
Par son arrêt du 22 mai 2024, la Cour de cassation institutionnalise certes la révolution opérée par elle le 25 novembre 2020 mais devra, sans doute, préciser les contours de ce nouveau régime de respon sabilité pénale quasi automatique des personnes morales s'agissant notamment des opérations de scission, d'apport partiel d'actifs ou de dissolution par confusion de patrimoines et des sanctions autres que les peines d'amende et de confiscation.
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