La compétence impérative du lieu de situation de l'immeuble devient d'ordre public pour le Tribunal judiciaire de Paris : une volonté de désengorger les juridictions parisiennes ?

Par plusieurs jugements en date du 21 juin 2024 (n° RG 23/56868, 23/55694,23/57361, n°23/54628, 24/50495, 24/50031) faisant suite à une audience des référés en formation collégiale...
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Par plusieurs jugements en date du 21 juin 2024 (n° RG 23/56868, 23/55694,23/57361, n°23/54628, 24/50495, 24/50031) faisant suite à une audience des référés en formation collégiale1 du 23 avril 2024 le Tribunal judiciaire de Paris a écarté sa compétence dans des affaires qu'il traitait jusqu'à cette date habituellement.

En matière de baux commerciaux, la question suivante s'est posée : le Tribunal judiciaire de Paris peut-il se voir attribuer compétence territoriale par application d'une clause contractuelle alors que l'immeuble sur lequel porte la demande se situe en dehors de son ressort ?

Pour le Tribunal judiciaire de Paris, la réponse est non.

Pour motiver leurs décisions, les juges indiquent que l'article R. 145-23 du Code de commerce, qui attribue compétence territoriale au profit de la juridiction du lieu de situation de l'immeuble, doit être considéré comme étant d'ordre public. Pourtant, aucune disposition de cet article ne lui confère un tel caractère.

C'est en se fondant sur un arrêt ancien (Cass. 3e civ., 10 juin 1971, n° 70-12.678) que l'argument de l'ordre public est retenu. Cependant, cette position n'avait jusqu'à présent jamais reçu application puisque les justiciables ont continué à saisir la juridiction désignée par la clause attributive de compétence territoriale et la Cour d'appel de Paris avait, à plusieurs reprises, considéré que l'article R. 145-23 n'était pas d'ordre public (CA Paris, 27 juin 2001, n°2001/06069 ; 4 juin 2009, n°08/18149 ; 25 nov. 2016, n°16/08557).

Avant le revirement du 21 juin 2024, dans la mesure où l'article R. 145-23 du Code de commerce n'était pas considéré comme étant d'ordre public, il suffisait donc de rechercher si la clause attributive de compétence territoriale était valide au regard de l'article 48 du Code de procédure civile. Dès lors que la clause était convenue (i) entre des parties ayant toutes contracté en qualité de commerçant et (ii) qu'elle était spécifiée de façon apparente dans le bail, elle devait recevoir application.

Par conséquent, cette nouvelle position implique que toute clause qui attribuerait compétence territoriale au profit du Tribunal judiciaire de Paris alors que l'immeuble serait situé hors de son ressort sera réputée non écrite.

En matière de mesure d'instruction in futurum, traditionnellement, le demandeur à une mesure d'instruction in futurum disposait d'une option de compétence entre d'une part, le président du tribunal susceptible de connaitre de l'instance au fond, et d'autre part, celui du tribunal dans le ressort duquel l'une des mesures doit être exécutée (Cass. 2e civ., 15 oct. 2015, n° 14-17.564 ;  2 juil. 2020, n° 19-21.012).

Cependant, à l'issue des jugements en date du 21 juin 2024, les juges du Tribunal judiciaire de Paris se sont déclarés incompétents pour connaitre d'une telle mesure d'instruction in futurum  puisque l'immeuble devant faire l'objet de cette mesure était situé hors de son ressort, alors que certains défendeurs étaient domiciliés dans le ressort du Tribunal judiciaire de Paris.

Les juges expliquent cette fois-ci cette incompétence par la « grande autonomie » du régime des mesures d'instructions in futurum de l'article 145 du Code de procédure civile, laquelle devrait également s'appliquer à la question de la compétence territoriale, puisqu'aucun texte n'en fixe les règles.

Ainsi, la compétence de la juridiction dans le ressort de laquelle la mesure doit être exécutée s'impose à l'exclusion de toute autre.

Ces quatre décisions sont justifiées au regard du principe de proportionnalité en vertu duquel la proximité est un critère essentiel et de bonne administration de la justice. En d'autres termes, les parties doivent désormais résoudre leurs différends à proximité du lieu de situation de l'immeuble, quand bien même elles auraient décidé d'un commun accord d'attribuer compétence à une autre juridiction (souvent celle de leurs sièges sociaux respectifs) par l'effet d'une clause dans le cadre d'un bail commercial ou quand bien même les défendeurs seraient domiciliés dans son ressort en matière d'expertise.

Bien que ces nouvelles positions n'ont été adoptées que par le Tribunal judiciaire de Paris (sans être suivies par les autres tribunaux de France à ce jour) et qu'elles n'ont pas été confirmées par les Cours d'appel et la Cour de cassation, celles-ci doivent être prises en compte lors de l'introduction de nouvelles actions judiciaires et lors de la rédaction des nouveaux baux commerciaux.

Cela étant précisé, on ne peut que déplorer que ces revirements s'opèrent au détriment des justiciables, et l'insécurité juridique qu'ils engendrent.

Footnote

1. En application de l'article 487 du Code de procédure civile « Le juge des référés a la faculté de renvoyer l'affaire en état de référé devant la formation collégiale de la juridiction à une audience dont il fixe la date »

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