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7 August 2024

Important rappel concernant l'introduction en preuve exceptionnelle d'échanges couverts par le privilège relatif aux règlements et l'application de l'article 56 C.p.c pour démontrer l'abus de procédure de l'administrateur ou dirigeant d'une partie

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McCarthy Tétrault LLP

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Commentaire sur la décision Mine/EOD inc. c.Sanexen inc., 2024 QCCS 1662

INTRODUCTION

Cette décision récente d'intérêt de la Cour supérieure du Québec (i) fournit un important rappel concernant l'introduction en preuve exceptionnelle d'échanges couverts par le privilège relatif aux règlements aux fins de démontrer l'abus de procédure d'une partie, en plus de (ii) constituer un rare cas d'application répertorié où le tribunal conclut à la responsabilité personnelle d'un administrateur ou dirigeant d'une société (« A&D ») en vertu de l'article 56 du Code de procédure civileC.p.c. ») pour avoir autorisé au nom de la société des procédures judiciaires jugées abusives.

LE CONTEXTE PROCÉDURAL

Aux fins du présent commentaire, le contexte procédural peut se résumer simplement. Entre 2021 et 2023, la demanderesse, la société Mine/EOD CLR inc., intente un recours en dommages contre une ancienne employée, Mme Moore, avant de se désister contre cette dernière et diriger ce recours contre une compétitrice, Sanexen inc.. La demanderesse allègue que ceux-ci auraient profité de la connaissance acquise par Moore pour s'approprier sa propriété intellectuelle. Elle plaide le bris de l'obligation de loyauté de Moore et réclame, d'abord à Moore et ensuite à Sanexen, un montant total s'élevant à plus de 18 000 000 $.

Au stade préalable de l'instance, le tribunal conclut dans un premier temps, à la suite de deux jugements rendus en mai et décembre 2023, au caractère abusif au sens des articles 51 et s. C.p.c. du recours et de certaines procédures interlocutoires déposées par la demanderesse, incluant une demande en récusation et l'ajout de Sanexen à titre de défenderesse, au même moment de son désistement contre Moore, 21 mois après l'institution des procédures.

Quelques mois plus tard, à l'étape de la détermination du remède et des dommages subis par les défenderesses suivant la déclaration d'abus de procédure par la demanderesse, l'honorable Clément Samson rend la décision Mine/EOD inc. c. Sanexen inc., 2024 QCCS 1662.

LA DÉCISION

Dans cette décision, le tribunal autorise d'abord la production d'une lettre contenant une offre de règlement de la demanderesse puisque « [l]'intérêt public de sanctionner le comportement de la demanderesse l'emportera sur celui de protéger les échanges entre les parties afin de tenter de trouver un règlement au litige ». Selon le tribunal, pour juger du comportement abusif qui se prolonge même dans les négociations pour tenter de trouver un terrain d'entente, l'offre de règlement est admissible en preuve, car elle constitue une menace à l'égard de Moore.

Écartant la présomption prima facie de l'inadmissibilité en preuve de documents qui visaient à favoriser la conclusion d'une entente négociée, le tribunal autorise la production de l'offre de règlement de la demanderesse et en reproduit l'extrait suivant dans son jugement :

Nous avons obtenu mandat de vous formuler une offre de règlement, sans aucune admission, sous le sceau de la confidentialité, et uniquement pour acheter la paix.

Comme vous l'alléguez vous-même, nos clients sont aisés et peuvent se permettre une bataille juridique longue et coûteuse sans affecter ne serait-ce que leurs liquidités. Bien entendu, ce n'est pas leur intention, mais leurs principaux objectifs, soit de reprendre le contrat, sont atteints, et donc les fautes de votre client ont cessé de produire des effets pour l'avenir. De plus, il semble que votre cliente soit incapable de servir une condamnation.

(...)

Nous vous suggérons également que votre cliente a effectué des abus procéduraux de son côté, et qu'elle pourrait également faire l'objet de réclamations en abus, et également d'une reprise des hostilités à son endroit.

(...)

Cette offre sera ouverte pour acceptation jusqu'à vendredi 14 heures, après quoi elle sera caduque et sans effet. Nous conseillerons alors notre client en conséquence, et nous vous suggérons que « tant qu'à » vous avoir au dossier, il est bien possible que nous changions notre approche et que le désistement soit un souvenir que votre cliente pourrait regretter.

S'appuyant notamment sur cette offre de règlement, le tribunal note le comportement procédural « chaotique » de la demanderesse et souligne que son recours est un subterfuge procédural ayant comme seule fin de lui permettre d'obtenir des éléments de preuve contre sa compétitrice.

Ensuite, le tribunal condamne le président et actionnaire de la demanderesse, personnellement et solidairement, au paiement de dommages-intérêts compensatoires pour stress et inconvénients à hauteur de 30 000 $ et punitifs à hauteur de 25 000 $.

Le tribunal fonde sa décision sur l'article 56 C.p.c., et le fait que le « président de la demanderesse [ait], en toute connaissance de cause, participé à toutes les décisions relatives aux procédures intentées » et « autorisé les procédures qui fondent l'objet de ce jugement » :

56. Lorsque l'abus est le fait d'une personne morale ou d'une personne qui agit en qualité d'administrateur du bien d'autrui, les administrateurs et les dirigeants de la personne morale qui ont participé à la décision ou l'administrateur du bien d'autrui peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts.

Une condamnation solidaire

118 La preuve démontre que [le] président de la demanderesse, a, en toute connaissance de cause, participé à toutes les décisions relatives aux procédures intentées.

119 À diverses occasions, le Tribunal a fait part de ses préoccupations, dont évidemment par le biais du jugement du 30 mai 2023, mais cela n'a rien changé. Informé, [le président de la demanderesse] a autorisé les procédures qui fondent l'objet de ce jugement.

120 Il est donc condamné personnellement au paiement des dommages intérêts.

COMMENTAIRES DES AUTEURS

Saisie des objections de la demanderesse au dépôt de lettres au motif du privilège relatif aux règlements, le tribunal rappelle qu'en principe, il est interdit pour une partie de déposer en preuve des documents échangés dans le cadre de pourparlers de règlement. En l'espèce, la Cour conclut toutefois que l'une des lettres envoyées par la demanderesse est admissible en preuve, car elle contient une menace à l'égard de la défenderesse Moore, et qu'en cela, l'intérêt public de sanctionner le comportement de la demanderesse l'emporte sur celui de protéger les échanges autrement privilégiés entre les parties.

À ce titre, cette décision fournit un rappel important que même des communications en principe couvertes par le privilège relatif aux règlements peuvent exceptionnellement faire l'objet d'une analyse et être retenues par le tribunal à l'encontre d'une partie aux fins de soutenir une demande en abus de procédure.

Outre ce rappel, c'est la condamnation personnelle et solidaire du président et actionnaire de la société demanderesse en raison du comportement procédural de cette dernière qu'il convient de noter. En effet, alors que l'article 56 C.p.c. est entré en vigueur dès 2016, il s'agit de l'une des rares décisions répertoriées, avec Webb Electronics Inc. c. RRF Industries Inc.[1], où la Cour supérieure du Québec applique cet article et condamne personnellement un A&D en vertu de celui-ci.

Alors que le C.c.Q. et les différentes lois corporatives permettent traditionnellement le soulèvement du voile corporatif contre un A&D notamment au motif d'abus de droit, la décision Sanexen inc. rappelle que l'article 56 C.p.c. peut permettre d'obtenir la condamnation personnelle et solidaire d'un A&D pour abus dans la conduite de procédures judiciaires, y compris en raison de son autorisation de procédures intentées par la société, et ce, sans que le A&D soit partie au litige principal, sans la nécessité de soulever le voile corporatif et après que le tribunal ait d'abord prononcé une déclaration d'abus à l'égard de la société uniquement.

Cette décision, jumelée à la décision récente Webb Electronics, pourrait annoncer une tendance des tribunaux à appliquer davantage l'article 56 C.p.c., ou inciter des avocats en droit corporatif et litige commercial à utiliser cet article pour prévenir la multiplication de procédures abusives.

Footnote

1 2023 QCCS 3716.

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