Nouveau Règlement sur la langue du commerce : Québec assouplit les règles sur les marques et maintient celles sur l'affichage

Le 26 juin 2024, le gouvernement a publié le Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires dans la Gazette officielle du Québec. Le règlement...
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Le 26 juin 2024, le gouvernement a publié le Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires dans la Gazette officielle du Québec. Le règlement :

  • harmonise le Règlement sur la langue du commerce et des affaires1 et la Charte de la langue française (la « Charte ») telle que modifiée par la Loi 96;3
  • précise certains cas dans lesquels une marque de commerce peut être rédigée uniquement dans une autre langue que le français sur les produits, dans l'affichage et la publicité commerciale;
  • précise les règles applicables en matière d'affichage public de marques de commerce et d'autres textes, notamment le critère de la « nette prédominance du français »;
  • facilite la mise en Suvre de la Charte en ce qui concerne la publicité commerciale et les contrats d'adhésion.

Sauf les dispositions relatives aux contrats d'adhésion, qui entrent en vigueur le 11 juillet 2024, tous les autres changements entreront en vigueur le 1er juin 2025.

Le milieu juridique et des affaires attendait avec intérêt l'adoption de ce règlement. Le projet de règlement, publié en janvier, avait clarifié quelques questions laissées en suspens par la Loi 96, mais plusieurs interrogations demeuraient quant à ses conséquences pratiques. C'est peut-être pourquoi la version finale du règlement ne traite pas des inscriptions permanentes et des logiciels embarqués. Nous pouvons présumer que la réflexion se poursuit pour ces matières et que celles-ci pourraient faire l'objet d'un autre règlement.

Ce bulletin résume les modifications au règlement qui nous apparaissent d'intérêt. À titre de référence, nous vous invitons à consulter notre version annotée du règlement, ainsi que le bulletin que nous avons publié sur le projet de règlement.

1. Inscriptions sur les produits

Exception pour les « marques de commerce reconnues »

La Loi 96 a modifié la Charte de façon à limiter l'exception permettant d'employer une marque de commerce dans une langue autre que le français sur les produits aux marques de commerce déposées au sens de la Loi sur les marques de commerce.4 Le projet de règlement avait étendu la portée de l'exception pour y inclure les marques en cours d'enregistrement, mais les marques non enregistrées ne semblaient bénéficier d'aucune protection.

La version finale remédie à cet enjeu en ajoutant une exception pour les « marques de commerce reconnues ». Celles-ci, qu'elles soient enregistrées ou non,5 pourront figurer sur des produits sans traduction en français, à condition qu'aucune version correspondante en français ne se trouve au registre.6

L'ajout de cette exception réconcilie en partie la Charte avec la réalité courante des marques de commerce reconnues et utilisées sans que leurs titulaires aient procédé à leur enregistrement.

Définition des termes « descriptif » et « générique »

En juin 2025, la Charte exigera la traduction de tout générique ou descriptif d'un produit compris dans une marque de commerce. Celui-ci devra figurer en français sur le produit ou le support qui s'y rattache de manière permanente.7

Le nouveau règlement définit les termes « descriptif » et « générique » comme suit :

  • Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires : points clés d'une récente discussion avec l'OQLF et le ministère de la Langue française un descriptif réfère à un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques d'un produit, et ce, à l'exclusion du nom de l'entreprise ou du nom du produit tel que commercialisé;
  • un générique réfère à un ou plusieurs mots décrivant la nature d'un produit, et ce, à l'exclusion du nom de l'entreprise ou du nom du produit tel que commercialisé;
  • une appellation d'origine ou un nom distinctif à caractère culturel ne sont pas considérés comme un descriptif ou un générique.8

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Source : Gouvernement du Québec

Par rapport aux définitions prévues au projet, nous remarquons l'ajout d'exclusions pour le nom de l'entreprise et le nom du produit tel que commercialisé.

Délai de grâce du 1er juin 2027

Le projet de règlement prévoyait déjà un délai de grâce permettant aux entreprises d'écouler leurs produits non conformes fabriqués avant le 1er juin 2025, et ce, jusqu'au 1er juin 2027.

Ce délai est maintenu mais la version finale du règlement étend l'application du délai supplémentaire aux produits fabriqués entre le 1er juin 2025 et le 31 décembre 2025 et qui sont visés par les nouvelles normes fédérales relatives à l'étiquetage.9 Ces normes ont été adoptées dans le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (symboles nutritionnels, autres dispositions d'étiquetage, vitamine D et graisses ou huiles hydrogénées)10 et le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur le cannabis (aliments supplémentés).11

2. Affichage public, publicité et documentation commerciale

Exception à la définition de « marque déposée »

La Charte devait prévoir que l'exception permettant d'utiliser une marque de commerce dans une langue autre que le français dans l'affichage public et la publicité commerciale ne s'appliquerait qu'aux marques déposées, à partir de juin 2025.12 Toutefois, à l'instar des règles relatives aux inscriptions sur les produits, la version finale du règlement comprend une exception pour les marques de commerce reconnues, enregistrées ou non enregistrées, dans l'affichage public et la publicité commerciale.13

Critère de la « nette prédominance du français » 

Au sens de la Charte telle que modifiée par la Loi 96, une marque utilisée dans l'affichage public depuis l'extérieur d'un local doit être accompagnée de termes en français figurant dans le même champ visuel de façon nettement prédominante. À cet effet, le règlement abroge le Règlement précisant la portée de l'expression « de façon nettement prédominante » pour l'application de la Charte de la langue française.

La « nette prédominance du français » est atteinte lorsque « le texte rédigé en français a un impact visuel beaucoup plus important que le texte rédigé dans une autre langue ». Pour qu'un texte rédigé en français ait un impact visuel « beaucoup plus important », deux conditions doivent être remplies :

  • L'espace consacré au texte rédigé en français doit être au moins deux plus grand que celui consacré au texte dans une autre langue;
  • La lisibilité et visibilité permanentes du texte doivent être au moins équivalentes à celles du texte dans une autre langue.

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Source : Gouvernement du Québec

La première condition se distingue du critère prévu au projet de règlement, qui faisait référence au texte rédigé en français lui-même au lieu de l'espace qu'il occupe. Cette modification offre davantage de flexibilité aux commerçants qui n'auront pas à rendre tout texte rédigé en français, en termes de police, par exemple, deux fois plus grand que tout texte dans une autre langue. Le calcul se fera plutôt en fonction de la superficie totale occupée par les textes. À tout événement, ce calcul ne doit pas tenir compte des heures d'ouverture, des numéros de téléphone, des adresses, des chiffres, des pourcentages et des articles définis, indéfinis ou partitifs rédigés en français.14

Le règlement tel qu'adopté ajoute aussi une exception pour l'affichage dynamique, c'est-à-dire l'affichage qui comporte des textes en français et dans une autre langue s'affichant en alternance. Le texte en français aura un impact visuel « beaucoup plus important » s'il est visible deux fois plus longtemps que celui rédigé dans une autre langue.15

Documentation commerciale

En janvier, plusieurs avaient été surpris que le projet de règlement n'abroge pas les dispositions du règlement permettant d'inclure des marques de commerce non traduites dans la documentation commerciale. Au contraire, le projet harmonisait les dispositions portant sur la documentation commerciale avec la Charte telle que modifiée par la Loi 96. Ces choix du gouvernement pouvaient étonner considérant les nouvelles mesures relatives aux marques de commerce.

Nous notons que les changements portant sur la documentation commerciale dans le projet ne se retrouvent pas dans la version finale du règlement. Le gouvernement pourrait réexaminer ces dispositions dans un règlement futur.

3. Contrats d'adhésion

Les règles applicables aux contrats d'adhésion font aussi l'objet de précisions. Ces contrats sont ceux dont les stipulations essentielles sont rédigées par une partie et ne peuvent être négociées.16

Depuis le 1er juin 2023, l'auteur d'un contrat d'adhésion doit remettre la version française à l'adhérent avant que les parties puissent décider d'être liées par la version dans une autre langue. Autrement dit, l'ajout d'une clause type selon laquelle les parties ont convenu de contracter en anglais ne suffit plus.17 Sans avoir fourni la version française, aucune partie ne peut transmettre à l'autre un document se rattachant à ce contrat rédigé dans une autre langue que le français. En cas de contravention à cette règle, les dispositions du contrat ne peuvent être invoquées que contre leur auteur et l'adhérent peut demander la nullité du contrat sans avoir à prouver qu'il a subi de préjudice.18

Le règlement précise qu'un « document se rattachant » au contrat d'adhésion vise notamment les documents :

  • attestant l'existence du contrat, comme un certificat d'assurance ou une attestation d'assurance;
  • dont l'annexion au contrat est requise par la loi, comme un formulaire de résiliation ou de résolution;
  • qui en constitue autrement l'accessoire.

Des dispositions du règlement traitent aussi des modalités de conclusion du contrat. Lorsque le contrat d'adhésion est conclu par téléphone, le règlement prévoit que l'adhérent doit avoir été invité expressément à consulter par moyen technologique les clauses types applicables rédigées en français.19 Nous pouvons penser à l'invitation à consulter les conditions d'utilisation sur une page web rédigée en français.

Si le contrat doit prendre effet immédiatement et l'adhérent ne dispose pas des outils technologiques lui permettant d'avoir accès aux clauses types applicables de ce contrat, l'obligation de remettre une version française du contrat d'adhésion à être conclu au téléphone peut aussi être satisfaite. Ces dispositions promettent de soulever des problèmes d'application pratique.

Enfin, le règlement prévoit que l'obligation de remettre une version française d'un contrat d'adhésion dont la conclusion se fait par l'entremise d'un moyen technologique est satisfaite par la remise des clauses types applicables, en français, à l'adhérent.20

Dans tous les cas, en cas de divergence entre la version française et celle dans une autre langue, l'adhérent peut invoquer celle qui lui convient.21

 4. Exposition au risque

S'il faut s'attendre à ce que l'Office québécois de la langue française (l'« OQLF ») maintienne une approche collaborative, ces modifications réglementaires, tout comme la Loi 96, augmentent néanmoins l'exposition au risque des entreprises opérant au Québec.

En plus d'augmenter les montants des sanctions pénales (qui peuvent être dirigées à une société et/ou à ses administrateurs à titre individuel),22 la Loi 96 prévoit que chaque jour où une infraction pénale se poursuit constitue une infraction distincte.23

Cela dit, les poursuites pénales demeurent rares : en 2022-2023, l'OQLF rapporte n'avoir déféré aucun dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales. De plus, la majorité des plaintes reçues concernent plutôt la langue de service (34 %) ou la langue de la documentation commerciale (31 %).

Par ailleurs, la Loi 96 a introduit la faculté de demander la cessation de toute atteinte à un droit fondamental linguistique.24 Cela comprend le droit des consommateurs d'être informés et servis en français. Le défaut de se conformer aux exigences de traduction de la Charte et du Règlement peuvent constituer des atteintes à ces droits.

La Loi 96 expose également les entreprises à un risque accru de faire l'objet d'actions collectives fondées sur la Charte, dans le cadre desquels des dommages punitifs peuvent être réclamés en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.25 En effet, la Loi 96 y a ajouté un « droit de vivre en français dans la mesure prévue par la Charte de la langue française ». Cela est important, car au Québec, les dommages punitifs ne peuvent être accordés que lorsqu'expressément prévus par une disposition législative.26

Conclusion

Le règlement tel qu'adopté répond à plusieurs questions qui demeuraient en suspens depuis l'adoption de la Loi 96 en 2022 et la publication du projet de règlement le 10 janvier 2024. Néanmoins, plusieurs incertitudes persistent, notamment ce qui concerne la validité constitutionnelle de la Charte ainsi modifiée et du règlement. Plusieurs intervenants soulèvent la possibilité d'un recours constitutionnel basé sur le partage des compétences, notamment en ce qui concerne la validité des dispositions relatives à l'utilisation des marques. Celles-ci pourraient empiéter sur la compétence fédérale en matière de marques de commerce.

Footnotes

1. RLRQ c. C-11, r 9.

2. RLRQ c. C-11.

3. Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, LQ 2022, c. 14 (la « Loi 96 »). Pour voir tous les changements apportés à la Charte, voir notre version annotée.

4. Charte, supra note 2, art. 51.1; voir aussi LRC 1985, c. T-13.

5. L'expression « marque de commerce reconnue » n'est pas définie dans le règlement, mais l'interprétation de ce terme par l'Office québécois de la langue française suggère qu'il comprend les marques non enregistrées.  

6. Règlement, supra  note 1, art. 7.1 (en vigueur le 1er  juin 2025); Décret 1000-2024, art. 2. 

7. Charte, supra  note 2, art. 51.1.

8. Règlement, supra note 1, art. 27.2 (en vigueur le 1er juin 2025); Décret 1000-2024, art. 6; Voir aussi l'art. 7(2) du Règlement, qui permet que les appellations d'origine, les dénominations de produits exotiques ou de spécialités étrangères, les devises héraldiques et les autres devises non commerciales soient rédigées dans une autre langue que le français dans les inscriptions sur les produits (ex. salsa, fajitas).

9. Décret 1000-2024,  art. 8. 

10. DORS/2022-168.

11.DORS/2022-169.

12. Charte, supra note 2, art. 58.1.

13. Règlement, supra note 1, art.27.5 (en vigueur le 1er juin 2025); Décret 1000-2024, art. 6.

14. Ibid., art. 27.4 (en vigueur le 1er juin 2025); Décret 1000-2024, art. 6.

15. Ibid., art. 27.6 (en vigueur le 1er juin 2025); Décret 1000-2024, art. 6.

16. Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991, art. 1379 (« C.c.Q. »).

17. Charte, supra  note 2, art. 55.

18. Ibid., art. 204.23 et 204.21. Il y a alors renversement du fardeau de preuve et le stipulant doit démontrer l'absence de préjudice.

19. Dans le projet, il était plutôt prévu que l'adhérent devait avoir « préalablement eu l'opportunité de consulter » les clauses types.

20. Dans un document obtenu suite à une demande d'accès, l'OQLF suggérait que cette obligation serait notamment satisfaite par l'auteur du contrat d'adhésion en rendant disponible la version française d'un site Internet (dont les conditions d'utilisation constituent un contrat d'adhésion, par exemple).

21. Charte, supra  note 2, art. 91 al. 3; Règlement, supra note 1 art. 27.3 al. 2 (en vigueur le 11 juillet 2024); Décret 1000-2024, art. 6.

22. Charte, supra  note 2, art. 205 à 208. Les sanctions pénales attribuables à une personne autre que physique sont désormais de 3 000 $ et 30 000 $ pour une première infraction.

23.Ibid., art. 208.0.1.

24. Ibid., art. 204.17, soit les droits prévus aux art. 2 à 6.2.

25. RLRQ, c. C-12, art. 3.1.

26. C.c.Q., supra  note 16, art. 1621.

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