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28 August 2024

Des déficits qui peuvent mettre sous examen les réorganisations corporatives

La Cour supérieure a récemment autorisé une action collective dans une affaire qui pourrait avoir des incidences majeures sur le sort des déficits...
Canada Employment and HR
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La Cour supérieure a récemment autorisé une action collective dans une affaire qui pourrait avoir des incidences majeures sur le sort des déficits dans les caisses de retraite de régimes à prestations déterminées à l'occasion des réorganisations corporatives1. La Cour a permis à un groupe de participants d'un régime de retraite d'intenter une action collective contre une société affiliée à leur ex-employeur et ses administrateurs personnellement pour un montant excédant 65 M$. Ce montant représenterait le total du montant du déficit de terminaison de leur régime de leur retraite ainsi que le montant de la perte des avantages sociaux des participants retraités. 

L'affaire remonte à une réorganisation corporative effectuée à l'automne 2011 par un conglomérat international ayant des usines dans 15 pays. Cette réorganisation du conglomérat visait ses activités canadiennes dans la sphère des produits électroménagers. Jusqu'alors, l'activité économique principale relevait d'une seule compagnie dont les employés de production étaient syndiqués. Outre les employés syndiqués, on comptait aussi un groupe de cadres et non-syndiqués à l'emploi du même employeur. Il y avait pour ces employés deux (2) régimes de retraite à prestations déterminées, l'un pour les salariés syndiqués et l'autre pour les cadres et employés non syndiqués. Le jugement n'est pas très révélateur sur l'état financier des régimes au moment de la réorganisation, mais nous savons que, 3 ans plus tard en 2014, le régime des employés syndiqués traînait un déficit de plus de 35 M$.

L'opération essentielle de la réorganisation de 2011 fut de scinder en quelque sorte l'activité économique principale canadienne et d'en transférer une partie à une nouvelle société créée à cette fin. Ainsi, la compagnie qui exploitait l'entreprise canadienne et employait tout le personnel a transféré à la nouvelle société l'ensemble des actifs de production et certaines catégories d'employés pour un prix de 1$. Le régime de retraite des cadres et employés non syndiqués a aussi été transféré et pris en charge par la nouvelle société. Toutefois, dans le cadre de la réorganisation, les employés syndiqués de production ainsi que leur régime de retraite sont demeurés au sein de l'entreprise canadienne d'origine qui exploitait auparavant seule toute l'activité économique. Les opérations ont pu continuer, semble-t-il, sans interruption pour une durée de 3 ans pendant lesquels des services et charges interentreprises furent échangés et facturés pour assurer la continuité. Les deux sociétés ont les mêmes administrateurs, cadres supérieurs et actionnaires durant l'intervalle.

La compagnie qui avait gardé à son emploi les salariés syndiqués et leur régime de retraite fait alors cession volontaire de ses biens sous l'égide de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en 2014. Ce geste a eu un effet draconien sur les droits accumulés des employés syndiqués dans leur régime de retraite à prestations déterminées et sur les retraités tirant une rente de ce régime. En effet, le régime accusait au 25 août 2014 un déficit substantiel lequel devenait une dette tombant dans le passif de la faillite. Généralement, les régimes de retraite à prestations déterminées sont considérés comme assurant une rente fixe et stable aux retraités présents et futurs. Il faut toutefois comprendre qu'advenant une déconfiture financière qui entraîne la terminaison d'un régime de retraite de cette nature, les crédits de rentes et les rentes elles-mêmes peuvent être sérieusement réduits.

Dans les allégations de leur action collective, les demandeurs prétendent essentiellement que la réorganisation de 2011 était une manœuvre par laquelle la faillite de 2014 fut orchestrée et que les gestes des administrateurs et de la société affiliée à leur ex-employeur furent posés de manière à les priver des actifs nécessaires au paiement de leurs pensions et avantages sociaux à la retraite.

La Cour conclut que les faits allégués sont suffisamment précis et concrets pour autoriser l'action collective sur trois causes d'action, à savoir : (1) la responsabilité extracontractuelle et l'abus de droit de la société mise sur pied en 2011 et de ses administrateurs sous le Code civil du Québec, (2) si la représentante du groupe de personnes en demande dans l'action collective se qualifie à titre de créancière dans le cadre d'un recours en redressement pour oppression suivant l'article 241 de la Loi sur les sociétés par actions et (3) si les allégations de mauvaise foi et d'abus peuvent donner ouverture à l'octroi de dommages punitifs en vertu d'une atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne

Nous sommes bien entendu uniquement au stade de l'autorisation de l'action collective et les critères à cet égard au Québec sont assez souples. La Cour mentionne également le moyen de défense éventuel des défendeurs, à savoir que « des décisions prises pour redresser la situation financière d'une entreprise ne constituent généralement pas une faute » , sera tranché au fond d'un procès. Par ailleurs, il s'agit pour la communauté d'affaires, les praticiens et les ceux et celles qui suivent les régimes de retraite une affaire qui doit être surveillée de près. En effet, les régimes de retraite sont souvent un enjeu dans les transactions commerciales et la façon dont les parties en disposent est fondamentale. De même, dans le cas d'entreprises de plus grande envergure, les réorganisations internes prennent souvent en considération les régimes de retraite et autres programmes d'intéressement. Soulignons en terminant que l'affaire MC met également en cause des avantages collectifs pour retraités. 

La question à savoir si le déficit dans le régime de retraite à prestations déterminées a été une considération importante dans le contexte de la réorganisation de 2011 et le recours à la législation canadienne sur l'insolvabilité est au cœur du litige et n'est pas encore tranchée. Nous pouvons toutefois nous demander si le même résultat serait obtenu dans le cadre de la faillite suite à l'adoption de la Loi C-228 sur laquelle Fasken s'est déjà prononcée2 puisque ce genre de déficit n'est plus une dette comme les autres. Quoi qu'il en soit, cette affaire illustre que les déficits dans les caisses de retraite peuvent générer des litiges contre des individus et des sociétés liées à la compagnie insolvable.

Footnotes

1. Collerette c. MC Commercial inc., 2023 QCCS 4790. Permission d'appeler refuse le 26 mars 2024.

2. Bill C-228: Death Knell for Private Sector Defined Benefit Pension Plans?(en anglais seulement) https://www.fasken.com/en/knowledge/2022/12/bill-c-228-an-act-to-amend-the-bankruptcy-and-insolvency-act

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