La question des rétrocessions a beaucoup occupé les milieux bancaire et financier au cours de la décennie écoulée, marquée par une succession de jurisprudences de principe qui ont bouleversé la pratique dans ce domaine.

Bref rappel: dans un arrêt rendu en 2006, le Tribunal fédéral (TF) a considéré que les rétrocessions et autres ristournes accordées par une banque dépositaire au gérant de fortune externe ou indépendant restaient en principe acquises au client et doivent donc lui être restituées, sauf à pouvoir établir que ce dernier y avait renoncé de manière non équivoque, sur la base d'une information complète et véridique s'agissant des rétrocessions attendues (ATF 132 III 432). En 2011, la jurisprudence a précisé qu'une renonciation anticipée du client supposait qu'il connaisse les paramètres servant au calcul du montant final des rétrocessions (ou, à tout le moins, qu'il dispose d'un ordre de grandeur des rétrocessions, ex-primé en pourcentage de la fortune gérée) et permettant une comparaison avec les honoraires de gestion convenus (ATF 137 III 393). En 2012, nouveau tour de vis, le TF ayant élargi l'obligation de restitution aux commissions dites d'état (in-demnités de distribution) perçues par les banques, en contrepartie de l'acquisition de parts de fonds de placement ou produits structurés, pour le compte de leurs clients, dans le cadre d'un mandat de gestion de fortune. Cette obligation s'applique indépendamment du fait que ces commissions soient versées par une société de groupe ou par un tiers. Une renonciation du client à ces commissions reste par ailleurs possible, aux conditions évoquées ci-dessus (ATF 138 III 755). Les jurisprudences précitées traitent uniquement des aspects civils découlant de l'obligation du mandataire de restituer les avantages indirects qu'il reçoit en lien intrinsèque avec l'exécution du mandat.

S'agissant des possibles conséquences pénales auxquelles s'expose le prestataire de services financiers en cas de violation de cette obligation de restitution, le sujet est âprement débattu mais n'a pas encore reçu de réponse claire et définitive à ce jour.

La question se pose en particulier sous l'angle de l'infraction de gestion déloyale (article 158 du Code pénal), vu que le gestionnaire de fortune (respectivement la banque qui agit dans le cadre d'un mandat de gestion confié par un client) consti-tue un exemple type de «gérant» au sens de cette disposition.

Un arrêt récent du TF (6B_845/2014) aborde la problématique, dont l'actualité et l'intérêt pratique pour la communauté financière sont indéniables. Les banques dépositaires devraient d'ailleurs aussi se sentir con-cernées par la discussion menée, puisqu'en versant des rétrocessions à un gérant externe, il n'est pas totalement exclu qu'elles puissent être, à certaines conditions, recherchées pénalement en tant que participant (instigateur, complice) à l'infraction commise par le gérant. Dans l'affaire portée devant les Juges de Mon-Repos et dont les médias romands se sont fait l'écho en avril dernier, un avocat et notaire a été reconnu coupable de gestion déloyale aggravée (art. 158 al. 1 ch. 3 CP) pour avoir, alors que la justice de paix venait de le désigner tuteur provisoire d'un riche industriel alémanique, délégué la gestion de la fortune mobilière de son pupille (quelque Frs. 30 millions) à une société financière, dont l'homme de loi était par ailleurs actionnaire et administrateur unique. Le mandat de gestion ainsi exercé au travers de cette société financière – ce dont ni la justice de paix, ni le pupille n'avaient connaissance – lui a permis d'encaisser, sur une période de quelques mois, des rétrocessions et autres commissions d'apporteur d'affaires, totalisant quelque Frs. 109'200, auprès de différentes banques (en sus des honoraires de gestion). A noter qu'aucune renonciation formelle à la restitution des commissions d'apporteur d'affaires et/ou rétrocessions n'avait été recueillie.

A la lecture des considérants du TF, il apparaît que c'est bien la confusion, respectivement le cumul des rôles de gérant de fortune et de tuteur assumés par l'intéressé, en proie à un conflit d'intérêts manifeste, qui semble avoir été déterminant dans la réflexion menée par les Juges fédéraux pour confirmer sa condamnation au titre de la gestion déloyale (aggravée). En effet, en conservant les rétrocessions et commissions perçues, il avait non seulement manqué à ses devoirs de reddition de compte et de restitution, en tant que gérant de fortune, mais il avait simultanément aussi violé ses obligations d'administrateur diligent, au sens du droit de la tutelle.

Vu ce qui précède, le TF n'a pas eu besoin in casu de trancher la question - controversée - de savoir si l'infraction de gestion déloyale pourrait être réalisée, du simple fait qu'un gérant de fortune indépendant, hors de tout contexte de tu-telle, viole son devoir de restituer au mandant les rétrocessions ou commissions encaissées auprès de tiers.

A notre avis, à la suite de certains arrêts rendus par notre Haute Cour dans le contexte de rapports de travail, la violation par le gérant externe de l'obligation de restituer ne devrait pas, à elle seule, atteindre le seuil de la gestion déloyale, pas plus d'ailleurs que le manquement au devoir de rendre compte. C'est uniquement lorsque l'encaissement de rétrocessions ou commissions a déterminé le gérant de fortune à accomplir des actes de gestion dommageables aux intérêts patrimoniaux du client (p.ex. pratique dite du churning; placements à des condi-tions désavantageuses, etc.) que son comportement est pénalement significatif sous l'angle de l'art. 158 CP. Une telle approche, volontairement restrictive, se justifie d'autant plus au regard du rôle subsidiaire (ultima ratio) généralement reconnu au droit pénal dans le domaine des litiges patrimoniaux (TF, 4A_424/2014 c. 7).

Originally published by L'AGEFI, 6th July 2015.

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