Habilitation. Curieusement placé au sein d'une section consacrée à la « simplification des ventes immobilières » (sic), l'article 104 de la loi pour une République numérique1 a habilité le Gouvernement à prendre les « mesures permet- tant, par voie dématérialisée sur un support durable et accessible au client, de remettre, fournir, mettre à disposition ou communi- quer des informations ou des documents relatifs à un contrat régi par le code monétaire et financier, le code des assurances, le code de la mutualité, le titre III du Livre IX du code de la sécurité sociales ou le livre III du code de la consommation, ainsi que de conclure ou de modifier ces contrats, le cas échéant via une signature électronique, ces supports dématérialisés se substituant aux documents écrits sur support papier, tout en garantissant au client une protection au moins équivalente ».

Ordonnance. C'est à quelques jours de l'expiration du délai d'un an de l'habilitation qu'est parue l'ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier; texte accompagné au même Journal officiel d'une ordonnance n° 2017-1426 du 4 octobre 2017 relative à l'identification électronique et aux services de confiance pour les transac- tions électroniques, et précédé par un décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique : l'époque est manifestement à l'immatériel ! Mais l'ordon- nance qui nous occupe reflète surtout la volonté du légis- lateur français de faciliter le développement des services financiers à distance, ou plus exactement de la banque digitale, des services d'investissements par Internet, sans oublier l'assurance dont les potentialités sont aujourd'hui sans doute parmi les plus importantes de ces trois secteurs en raison de l'enjeu qu'y représente la « data ».

Intention. Deux objectifs sont mis en lumière par le rap- port au Président de la République relatif à l'ordonnance du 4 octobre 2017 : le premier est de privilégier autant que possible la dématérialisation de la relation avec le client ; le second d'assurer au consommateur une protection au moins équivalente à celle prévalant dans l'« ancien monde ». Plus de papier donc, mais une faveur pour échanges électro- niques, sans que les droits du client ne soient évidemment affectés. Si une telle promotion de ce qui est dématérialisé est incontestablement nouvelle, l'attention portée aux rela- tions à distance ne l'est en revanche pas, de sorte que le contenu du nouveau texte n'est en réalité pas si novateur que son intitulé ne le laissait croire.

Contenu. L'ordonnance sous commentaire ne modifie pas moins de cinq codes : Code des assurances, Code de la consommation, Code monétaire et financier, Code de la mutualité et Code de la Sécurité Sociale, ce qui reflète la dis- persion des règles applicables aux services financiers. Les dispositions dessinent essentiellement une sorte de droit du support durable, dont les usages ne sont pas inconnus de notre droit, mais qui se trouve désormais relayé par un encadrement de l'« espace personnel sécurisé sur inter- net ». Avant d'en dire quelques mots, retenons que notre texte entrera en vigueur le 1er avril 2018 et s'appliquera aux contrats en cours, à condition toutefois que le mode de communication dématérialisé soit adapté à la situation du client et qu'il en soit informé; conditions qui nous font d'ores et déjà entrer dans le vif du sujet.

Définition du support durable. En ce qui concerne le Code monétaire et financier, une section 5 « Dispositions rela- tives à la mise à disposition ou remise d'informations ou documents sur tout autre support durable que le papier »

est ajoutée au chapitre Ier du titre Ier du livre III du CMF, qui s'ouvre par cette définition: « Constitue un support durable, au sens du présent titre, tout instrument offrant au client ou au professionnel la possibilité de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées, et qui permet la reproduction à l'identique des informa- tions conservées » (CMF, art. L. 311-7 nouv.)2.

L'exigence de remise d'un support durable n'a en réa- lité rien de nouveau. Elle était énoncée par la directive du 20 mai 1997 concernant la protection des consomma- teurs en matière de contrats à distance3. Mais le texte ne couvrant pas les services financiers, c'est à la faveur de la transposition de la directive 23 septembre 2002 relative à la commercialisation à distance de services financiers4 qu'elle a été intégrée, en 20055, dans la partie du Code de la consommation consacrée aux services financiers6. Et la définition de la notion de support durable consacrée par la nouvelle ordonnance ne fait que reprendre, à quelques nuances insignifiantes, celle introduite par la directive de 20027 et qui figurait, depuis la loi Hamon8, dans le Code de la consommation9.

Aujourd'hui, plusieurs dispositions du Code de la consom- mation et du Code monétaire et financier rappellent la nécessité de garantir au consommateur la possibilité de recevoir les informations et les conditions contractuelles de manière utile et satisfaisante pour un exercice réel et efficace du droit à l'information.

Régime du support durable. Pèsent sur le professionnel une obligation de vérification relayée par un devoir d'infor- mation : vérification préalable, renouvelée annuellement, que le mode de communication dématérialisé (i. e. le sup- port durable) est adapté à la situation du client ; informa- tion dudit client de la poursuite de la relation contractuelle sur support papier et, « à moins que ce ne soit incompatible avec la nature du contrat conclu ou du service financier fourni » (ne doutons pas que les tribunaux se prononceront sur cette incompatibilité), information sur le droit d'opposition dont dispose le consommateur dès l'entrée en relation ou à n'importe quel moment (CMF, art. L. 311-8 et s. nouv.). Espace personnel sécurisé. La véritable nouveauté intro- duite dans les différents codes modifiés par l'ordonnance paraît issue de l'important arrêt Bawag PSK Bank rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juillet 201710. Évidemment, la CJUE avait été conduite, à plusieurs occa- sions, à se prononcer sur l'exigence de support durable puisque celle-ci figurait dans des textes européens 11. Mais ce sont les précisions apportées dans cet arrêt Bawag PSK Bank qui ont sans nul doute inspiré le législateur français. La décision, très remarquée, a en effet dégagé les conditions que doit concrètement remplir un support pour pouvoir être qualifié de « durable » en matière de services finan- ciers, à l'occasion de l'interprétation d'une disposition de la directive Services de paiement12; mais davantage encore. Fourniture d'informations. Outre la condition de durabi- lité, la Cour a précisé que la « fourniture » d'informations exigeait un comportement positif de la banque vers son client, impliquant une véritable action de délivrance. Elle a retenu à cet égard que la banque doit porter à la connais- sance du client l'existence et la disponibilité des informa- tions qu'elle leur transmet par le biais de son site de banque en ligne13, par exemple grâce à l'envoi d'un message élec- tronique. Mais l'adresse choisie par la banque pour l'envoi de ce message ne doit pas être celle qu'elle a octroyée au client, dans la mesure où ce dernier ne l'utilise pas pour sa communication quotidienne avec des tiers à la relation bancaire14. À défaut, on comprenait que l'information ne pouvait être considérée comme « fournie » au sens de la Directive15, mais « simplement mise à disposition ».

L'ordonnance reprend cette exigence de fourniture en mentionnant, par la voie du nouvel article L. 311-10 du CMF : « Lorsque le professionnel fournit au client des informations et des documents par le biais d'un espace personnel sécurisé sur inter- net, il porte à la connaissance du client l'existence et la disponibi- lité de ces informations et documents sur l'espace personnel sécurisé par tout moyen adapté à la situation du client. » Pour autant, elle ne duplique pas complètement la précision apportée par la CJUE dans son arrêt quant à la notion de « fourniture d'informations », puisqu'elle enjoint simplement aux pro- fessionnels de porter l'information à la connaissance du client « par tout moyen adapté » à sa situation.

Si, en termes de recommandations pratiques, on avait pu déduire de l'arrêt Bawag que la banque ne pouvait se contenter de procéder à l'envoi d'informations de son client par le biais exclusif d'un service de banque en ligne (espace e-banking ou boîte mail interne), sans recourir en parallèleàd'autresmoyens(courrier, SMSoucourriel) pour lui indiquer la mise à disposition d'un nouveau document, l'ordonnance nouvellement adoptée ne semble donc pas aller aussi loin. Dès lors doit-on espérer que les nouvelles règles n'alimenteront pas de litige de nature à mettre le législateur français en porte-à-faux.

Footnotes

1.L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016.

2. On retrouve une définition similaire dans les nouveaux articles L. 11-9 du Code des assu- rances, L. 221-6-4 du Code de la mutualité ou L. 931-3-4 du Code de la Sécurité Sociale.

3. Dir. n° 97/7/CE du 20 mai 1997 : JOCE n° L. 144, 4 juin 1997, p. 19 et s.

4 Directive n° 2002/65/CE du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs et modifiant les directives n° 90/619/CEE, n° 97/7/CE et n° 98/27/CE.

5 Ord. n° 2005-648 du 6 juin 2005 relative à la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, JO 7 juin 2005, p. 10002.

6 À l'époque, C. conso., art. Art. L. 121-20-11.

7 L'article 2 f) de la directive n° 2002/65/CE du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs en posait la définition suivante : « Tout instrument permettant au consommateur de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement d'une manière permettant de s'y reporter aisément à l'avenir pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées. »

8 L. n° 2017-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, art. 9.

9 Article L. 221-1 3° (anciennement L. 121-16 3°) du Code de la consommation.

10 CJUE 25 janv. 2017, aff. C-375/15, BAWAG PSK Bank : P. Storrer, « À propos de l'arrêt BAWAG PSK Bank » et E. Jouffin et G. Percie du Sert, « L'arrêt BAWAG PSK Bank de la CJUE au regard de la notion de support durable et ses répercussions pratiques », Banque et Droit n° 172, mars-avr. 2017, p. 64.

11 CJUE 5 juillet 2012, n°C-49/11, Content Services, points 41 à 43, et CJUE 9 novembre 2016, n°C-42/15, Home Crédit Slovakia, point 35 (arrêts rendus à propos de la directive 97/7).

12 Articles 36 § 1 et 41 § 1 de la Directive 2007/64/UE.

13 CJUE 25 janvier 2017, n°C-375/15, Bawag, points 48 et 50.

14 CJUE 25 janvier 2017, n°C-375/15, Bawag, point 51.

15 En ce sens, E. Jouffin et G. Percie du Sert, op. cit.

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