Dans les dernières années, les Québécois ont vu d'importantes modifications au cadre juridique entourant le droit à la vie privée et la prévention du harcèlement et de la violence psychologiques et sexuels, y compris dans un contexte professionnel, comme nous l'avons souligné précédemment dans un autre billet de blogue. Dans le but de protéger davantage la population québécoise, l'Assemblée nationale du Québec a présentéle Projet de loi n° 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence (ci-après le « Projet de loi 73 » ou la « Loi ») le 3 octobre 2024. Cette législation introduit une nouvelle avenue juridique qui permet aux individus de prévenir ou d'arrêter la diffusion non consensuelle d'images intimes. Le Projet de loi 73 a obtenu la sanction royale et la plupart de ses dispositions sont entrées en vigueur le 4 décembre 20241.
En plus de fournir des mesures juridiques urgentes pour prévenir ou faire cesser le partage non consensuel d'images intimes, le Projet de loi 73 introduit également des réformes dans plusieurs autres textes législatifs, y compris le Code du travail et la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Ces réformes garantissent que certains mythes et stéréotypes, déjà établis comme étant non pertinents en droit criminel2, le soient également dans les affaires civiles ou administratives impliquant des allégations de violence sexuelle ou conjugale. Par conséquent, ces changements peuvent avoir des implications pour les employeurs qui ont des employés victimes de violence et dans la manière dont les plaintes et les griefs sont traités par l'employeur, les employés et les syndicats.
Objectif principal du Projet de loi 73
L'objectif principal du Projet de loi 73 est de fournir aux individus un mécanisme juridique pour prévenir toute atteinte à leurs droits à la sauvegarde de leur dignité, leur honneur et leur réputation, ainsi que pour protéger leur droit au respect de leur vie privée, tel qu'inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et dans le Code civil du Québec3. La Loi reconnaît qu'il existe une possibilité qu'un préjudice irréparable soit causé par la diffusion technologique sans consentement d'images intimes4. Le Projet de loi 73 définit une image intime comme étant toute image, qu'il s'agisse d'un enregistrement visuel ou sonore, ou d'une diffusion en direct, « représentant ou semblant représenter une personne soit nue ou partiellement nue, exposant ses seins, ses organes génitaux, sa région anale ou ses fesses, soit se livrant à une activité sexuelle explicite » là où l'individu avait une attente « raisonnable à ce que sa vie privée soit protégée5. »
Les individus qui constatent que leurs images intimes sont diffusées sans leur consentement, ou qui craignent une telle diffusion peuvent demander à un tribunal d'empêcher toute distribution ultérieure de ces images. L'ordonnance peut contraindre toute personne à : (i) s'abstenir de partager l'image, (ii) cesser tout partage de l'image, et (iii) détruire l'image. De plus, le tribunal peut ordonner à toute personne de désindexer tout hyperlien permettant d'accéder à cette image6. Plus particulièrement, la Loi permet que ces ordonnances soient rendues de manière urgente, en l'absence des parties et lorsque l'identité de l'auteur de l'infraction est inconnue. Les victimes disposent ainsi d'un moyen rapide, en particulier dans les situations où les procédures judiciaires traditionnelles peuvent être trop lentes ou mal adaptées pour traiter ce type de problème7.
Les sanctions pour non-respect de la Loi comprennent l'outrage au tribunal et des amendes allant de 500 $ à 5 000 $ pour les personnes physiques, et de 5 000 $ à 50 000 $ par jour dans les autres cas, notamment pour les personnes morales. Dans certains cas, une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 18 mois peut également être imposée8.
Modifications au Code du travail et à la Loi instituant le Tribunal administratif du travail
Une des principales caractéristiques du Projet de loi 73, qui présente un intérêt particulier pour les employeurs, les employés et les syndicats, est la modification apportée au Code du travail et à la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Un nouvel article 100.9 a été ajouté au Code du travail pour traiter les cas dans lesquels les employés allèguent être victimes de violence sexuelle ou conjugale. De même, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail a été modifiée pour inclure l'article 35.1, qui applique ces mêmes principes. Ces modifications précisent que, dans les cas impliquant des allégations de violence sexuelle ou conjugale, les faits suivants sont présumés non pertinents :
- tout fait relatif à la réputation de la personne qui est prétendue victime de la violence ;
- tout fait relié avec au comportement sexuel de cette personne, autre qu'un fait de l'instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité ;
- le fait que cette personne n'ait pas demandé que le comportement cesse ;
- le fait que cette personne n'ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence ;
- tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée ;
- le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l'auteur allégué de cette violence9.
Ces changements visent à permettre aux individus d'entamer plus facilement des poursuites en cas de violence ou de harcèlement sans craindre d'être injustement jugés pour leur comportement personnel ou leurs décisions antérieures. En éliminant l'influence des stéréotypes qui blâment les victimes, ces modifications garantissent que de tels préjugés n'influencent plus les procédures judiciaires.
À retenir : Quelles sont les conséquences pour les employés, les employeurs et les syndicats ?
Bien que le Projet de loi 73 et les modifications qu'il apporte au Code du travail et à la Loi instituant le Tribunal administratif du travail introduisent des changements importants, les conséquences directes pour les employeurs, les employés et les syndicats peuvent être importantes dans le contexte de l'adjudication des plaintes internes, des audiences devant le Tribunal administratif du travail ou des arbitrages de griefs. En effet, les différents intervenants peuvent être limités dans les informations qu'ils souhaitent produire en preuve, dans leur contre-interrogatoire des témoins et, en fin de compte, dans la force de leurs dossiers qui portent, en totalité ou en partie, à l'existence alléguée de violence sexuelle.
Notre équipe en droit du travail suivra de très près les développements de ces modifications ainsi que l'application de celles-ci par les tribunaux dans les prochains mois. Pour obtenir de plus amples renseignements sur le sujet ou obtenir des conseils sur comment gérer l'impact de ces modifications sur vos opérations, n'hésitez pas à communiquer avec un membre de notre équipe de droit du travail et de l'emploi.
*** Un grand merci à Benjamin Brown pour son aide dans la rédaction du présent billet.***
Footnotes
1. Loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence, projet de loi n° 73 (sanctionné – le 4 décembre 2024), 1e sess., 43e légis. (Qc), art. 21, Titre III, Chapitre V [Projet de loi 73]
2. Code criminel, R.S.C., 1985, c. C-46 ss. 276 and 277.
3. Projet de loi 73, art. 1, Titre I, Chapitre I.
4. Projet de loi 73, art. 1, Titre I, Chapitre I.
5. Projet de loi 73, art. 2, Titre I, Chapitre I.
6. Projet de loi 73, art. 6, Titre I, Chapitre I.
7. Projet de loi 73, art. 11 et 12, Titre I, Chapitre I.
8. Projet de loi 73, art. 18, Titre I, Chapitre II.
9. Projet de loi 73, art. 18 et 21, Titre I, Chapitre II et III.
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