Par deux jugements en date du 16 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a reconnu pour la première fois un lien de causalité entre les bronchiolites et les otites affectant deux enfants et la carence de l'État en matière de pollution atmosphérique.

Ces deux jugements s'inscrivent dans un contexte de multiplication des sanctions prononcées à l'encontre de l'État en matière d'environnement1.

Deux familles ayant vécu en région parisienne à proximité du boulevard périphérique, et dont les enfants souffraient de maladies respiratoires, ont saisi la justice pour demander la réparation des préjudices subis du fait de la carence fautive de l'État en matière de pollution atmosphérique. Si la carence fautive a déjà été établie en matière de pollution de l'air, c'est bien la première fois que le juge reconnaît un lien de causalité entre le dépassement des seuils de pollution et ces maladies. L'État a ainsi été condamné à verser respectivement 3 000 et 2 000 euros aux familles.

Lien de causalité

Cadre d'analyse

Le tribunal commence par rappeler la décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne (« CJUE ») le 22 décembre 2022 dans l'affaire C-61/21 au sujet des directives européennes sur la qualité de l'air. Ces directives contiennent en effet des valeurs limites de qualité de l'air.

Dans son arrêt, la CJUE avait jugé que :

« Les articles 3 et 7 de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l'anhydride sulfureux et les particules en suspension, les articles 3 et 7 de la directive 85/203/CEE du Conseil, du 7 mars 1985, concernant les normes de qualité de l'air pour le dioxyde d'azote, les articles 7 et 8 de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l'évaluation et la gestion de la qualité de l'air ambiant, l'article 4, paragraphe 1, et l'article 5, paragraphe 1, de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l'anhydride sulfureux, le dioxyde d'azote et les oxydes d'azote, les particules et le plomb dans l'air ambiant, ainsi que l'article 13, paragraphe 1, et l'article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, doivent être interprétés en ce sens que ils n'ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particuliers susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l'égard d'un État membre, au titre du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables. »

Si le tribunal en déduit que les directives européennes sur la qualité de l'air ne confèrent pas de droits individuels aux particuliers pour obtenir une réparation des préjudices résultant de la violation de ces directives, il considère que ceci ne fait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l'État français sur le fondement du droit français.

Le tribunal envisage donc la responsabilité de l'État français sous l'angle du droit français de la responsabilité administrative :

« Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une exposition à des pics de pollution résultant de la faute de l'État, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre l'exposition aux pics de pollution subie par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d'affection, et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que l'exposition aux pics de pollution. »

Lien entre les maladies respiratoires et le dépassement des seuils de pollution

Les rapports d'expertise ont confirmé l'existence d'un lien (non exclusif) entre les symptômes allégués et la pollution.

Dans la première affaire, le Tribunal relève que :

« Les études scientifiques établissent de façon épidémiologique et statistiquement significative un lien entre asthme du nourrisson et pollution, notamment en ce qui concerne les pollutions au dioxyde d'azote (NO2, marqueur de pollution automobile), aux particules d'un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM 2,5) et à l'ozone. La pollution n'est toutefois pas la seule explication aux bronchiolites de l'enfant, le virus respiratoire syncitial (VRS) ayant été identifié comme responsable de 60 à 80 % des épisodes de bronchiolite. Les pics de pollution favorisent la survenue de ces infections virales, avec des délais de quelques jours à plusieurs semaines entre pic de pollution et symptômes respiratoires, déclenchant un asthme du nourrisson viro-induit, chaque pic de pollution pouvant déclencher des manifestations sifflantes qui ne sont pas nécessairement de nature infectieuse. D'autres facteurs peuvent contribuer à la survenue de ces épisodes, tels que les allergies, le tabagisme parental, l'exposition à des produits chimiques domestiques, ou encore les conditions météorologiques. Toutefois, les études statistiques évaluent la part attribuable à la pollution dans les bronchiolites sévères de 30 à 50 % ».

En l'espèce, l'asthme du nourrisson a été diagnostiqué. A plusieurs reprises, les symptômes ont coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil. Le tribunal relève par ailleurs l'absence d'autres facteurs liés à l'environnement immédiat (tabac, allergies, etc.). Surtout, il relève que la famille a résidé, jusqu'à son déménagement dans le Sud de la France, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), à 700 mètres du boulevard périphérique. Depuis le déménagement, aucun épisode de gêne respiratoire n'a été ensuite enregistré, et le traitement de fond a pu être abandonné.

Dans la seconde affaire, le Tribunal relève :

« Les études scientifiques apportent des arguments en faveur d'un lien entre pollution et survenue d'otites moyennes, notamment en ce qui concerne les dérivés oxygénés de l'azote, composés produits par les moteurs thermiques, irritants pour les voies respiratoires. Elles ont ainsi mis en évidence un lien entre l'augmentation des concentrations des polluants particulaires et l'augmentation de ces pathologies, avec des délais de deux à trois jours après l'augmentation des concentrations. Ces études ont mené les experts à considérer que le facteur attribuable à ce type de pollution sur les épisodes d'otite serait d'environ 30 %, attribuant ainsi un peu moins d'un épisode d'otite sur 3 ou sur 4 à la pollution. Les études rappellent également que les causes des otites moyennes peuvent être multiples, les principaux facteurs de risques étant la vie en collectivité, ainsi que le tabagisme parental. »

En l'espèce, l'enfant avait souffert d'épisodes d'otites moyennes à répétition. Les symptômes avaient coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil, aucun autre facteur n'avait été identifié, la famille vivait à proximité du boulevard périphérique parisien, et une amélioration nette de l'état de santé avait été observée postérieurement au déménagement de la famille hors de la région parisienne.

A noter que dans les deux cas, les victimes étaient des nourrissons quand les symptômes sont apparus et que le déménagement des familles en dehors de la région parisienne avait conduit à une nette amélioration de leur état de santé.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut qu'une partie des symptômes dont a souffert l'enfant dans chacune des affaires a été causée par le dépassement des seuils de pollution résultant de la faute de l'État.

Préjudices

S'agissant de l'enfant, la réparation de divers préjudices étaient demandés mais le Tribunal n'a reconnu l'existence que du préjudice résultant des souffrances endurées :

  • Souffrances endurées : pour la réparation des souffrances tant physiques que morales, le Tribunal condamne l'État au paiement d'une indemnité de 2000 euros dans chacune des affaires ;
  • Préjudice d'agrément : si l'impossibilité d'exercer des activités de loisir était invoquée, le Tribunal considère que la preuve n'est pas apportée que l'enfant « aurait pu pratiquer une activité spécifique de loisirs » (dans la première affaire) ou « aurait participé à cette activité antérieurement à son opération » (dans la seconde affaire) ;
  • Troubles des conditions d'existence : le Tribunal considère que la preuve n'est pas apportée que ce préjudice est distinct des souffrances endurées ;
  • Préjudice moral d'angoisse face à l'inaction de l'État : le Tribunal considère que l'anxiété « n'est pas exceptionnelle au point d'être indemnisée de manière distincte des souffrances endurées » ;
  • Préjudice moral d'anxiété face à une contamination : à nouveau, le Tribunal considère que les requérants échouent à apporter des « éléments personnels et circonstanciés » démontrant que l'enfant a été exposé « du fait de la survenue de ces dépassements de seuils de pollution, à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de son espérance de vie ».

S'agissant des parents, la réparation de divers préjudices était demandée également mais le Tribunal n'a reconnu l'existence que du préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence dans une des deux affaires :

  • Souffrances endurées : le Tribunal juge que les parents ne démontrent pas avoir eux-mêmes enduré des souffrances en lien avec la faute de l'État ;
  • Troubles dans les conditions d'existence : dans la première affaire, le Tribunal reconnaît que les pathologies de l'enfant ont perturbé la vie familiale et condamne l'État au paiement d'une indemnité de 1000 euros ;
  • Préjudice moral d'angoisse face à l'inaction de l'État : à nouveau, le Tribunal juge que l'anxiété « n'est pas exceptionnelle au point d'être indemnisée de manière distincte des souffrances endurées » ;
  • Préjudice moral d'anxiété face à une contamination : comme pour l'enfant, le Tribunal considère que les requérants échouent à apporter des « éléments personnels et circonstanciés » démontrant qu'ils ont été exposés « du fait de la survenue de ces dépassements de seuils de pollution, à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de son espérance de vie » ;
  • Préjudices patrimoniaux (incidence sur la vie professionnelle des parents, frais médicaux et déplacements, frais de déménagement et de mutation) : dans la seconde affaire, outre les préjudices extrapatrimoniaux, la réparation de préjudices dits patrimoniaux était demandée. Les demandes ont été intégralement rejetées, en l'absence d'éléments de preuve.

On voit ainsi que pour prétendre à une indemnisation, il faut être en mesure de documenter précisément les consultations, les traitements, etc. et chacune des répercussions dans la vie quotidienne de la famille (scolarité, loisirs, vie professionnelle et familiale) et les niveaux de pollution.

Sachant que chaque année près de 40 000 décès seraient attribuables à une exposition des personnes âgées de 30 ans et plus aux particules fines (PM2,5)2, et que le déploiement des zones à faibles émissions (ZFE) dans les grandes villes métropolitaines pose des difficultés majeures3, on peut prédire que ce type d'actions va se multiplier.

Footnotes

1 Cf. nos articles sur l'affaire Grande Synthe (Affaire Grande Synthe, Saison 3 : le juge tente de maintenir la pression sur le gouvernement pour atteindre l'objectif de réduction des gaz à effets de serre de 40% d'ici 2030) et sur la condamnation sous astreinte de l'État à respecter les normes de niveaux de pollution dans les principales agglomérations de France (Pollution de l'air : nouvelle condamnation de l'État) publiés sur notre Blog respectivement en juin 2023 et octobre 2022

2 https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

3 Voir le rapport de la mission d'information du Sénat (https://www.senat.fr/rap/r22-738/r22-7381.pdf) publié le 14 juin 2023.

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