Saisi par la ville de Grande-Synthe et des associations, le Conseil d'État avait enjoint le 1er juillet 2021 au Gouvernement de prendre, d'ici le 31 mars 2022, toutes les mesures permettant d'atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de – 40% en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, notamment afin de respecter l'Accord de Paris et les engagements européens repris par le législateur français1.

Presque deux ans plus tard, il constate que sa décision n'a pas été exécutée. Par un arrêt du 10 mai 2023, il a ordonné au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d'ici le 30 juin 2024, et de transmettre, dès le 31 décembre, un bilan d'étape détaillant ces mesures et leur efficacité2.

Contexte

C'est latroisième fois que le Conseil d'État se prononce dans cette affaire introduite notamment par la commune de Grande-Synthe et plusieurs associations de défense de l'environnement.

Le 19 novembre 2020, par un premier arrêt, le Conseil d'État avait considéré que l'objectif de réduction du niveau des GES produites par la France fixé par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 étaient opposables au Gouvernement et qu'il était compétent pour en contrôler le respect3. Acceptant de contrôler par anticipation le respect d'une trajectoire à venir, sans attendre l'échéance de 2030 pour vérifier si elle a été respectée, il avait ordonné un supplément d'instruction pour obtenir du Gouvernement tout élément de nature à établir la compatibilité avec la trajectoire de réduction.

Le 1er juillet 2021, dans un deuxième arrêt, le Conseil d'État avait constaté que les mesures déjà prises à la date de la décision n'étaient pas compatibles avec cette trajectoire, de sorte que des mesures supplémentaires étaient nécessaires. Il avait donc enjoint le Gouvernement de prendre « toutes les mesures utiles » permettant d'infléchir la courbe des émissions de GES produites en France pour garantir sa compatibilité avec les objectifs de réduction fixés par les textes avant le 31 mars 2022. A nouveau, le Conseil d'État tentait de s'adapter à ce contentieux inhabituel en laissant le Gouvernement décider des mesures à prendre.

C'est dans ces circonstances qu'une phase juridictionnelle d'exécution a été ouverte en octobre 2022, les requérantes demandant au Conseil d'État de constater que son arrêt du 1er juillet 2021 n'avait pas été exécuté par le Gouvernement.

Après avoir reçu les éléments transmis par le Gouvernement pour justifier son action ainsi que les observations de la commune de Grande-Synthe, de la ville de Paris et des associations requérantes, le Conseil d'État devait déterminer si la décision du 1er juillet 2021 avait été correctement exécutée et, si tel n'était pas le cas, s'il convenait d'ordonner toutes mesures d'injonction ou d'astreinte de nature à assurer l'exécution effective de cette décision4.

Constat d'une inexécution

Concrètement, cela revient pour le Conseil d'État à examiner si les mesures prises par le Gouvernement, ou qui peuvent encore être adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre soit compatible avec l'atteinte des objectifs fixés à l'échéance 2030.

Le Conseil d'État explique que son examen se déroule en trois temps :

  • Examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints,
  • Examiner si les mesures adoptées ou annoncées sont de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou au contraire risquent d'augmenter ces émissions,
  • Prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des méthodes d'évaluation disponibles, notamment les avis émis par les experts, dont le Haut Conseil pour le Climat (HCC).

Pour au final déterminer si les objectifs de réduction peuvent être regardés comme raisonnablement atteignables.

Examen de la trajectoire jusqu'ici

Pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de GES – 40% par rapport aux niveaux de 1990, le Gouvernement a adopté une trajectoire de diminution de ces émissions s'étendant sur 4 périodes dites budgets carbone (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant des objectifs de baisse des émissions.

Le Conseil d'État constate que les données publiées par le centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA) montrent que jusqu'ici les objectifs 2019-2023, correspondant à une diminution moyenne des émissions de 1,9 % par an, pourraient être respectés.

Il relève cependant que, au-delà de cette moyenne, les baisses des émissions annuelles sont très contrastées : – 1,9 % en 2019, puis – 9,6 % en 2020, et que les données provisoires disponibles montrent que les émissions sont reparties à la hausse en 2021 (+ 6,4 %) avant de redescendre à nouveau en 2022 (- 2,5 %).

Le Conseil d'État relève qu'il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions du Gouvernement ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l'activité (2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements) puis à la crise de l'énergie (2022 avec la guerre en Ukraine).

Examen des mesures prises depuis l'injonction prononcée en 2021

Les éléments mis en avant par le Gouvernement montrent qu'un certain nombre de mesures ont bien été prises depuis le 1er juillet 2021, avec un budget alloué à leur financement et, plus largement, à la transition écologique et énergétique.

Le Conseil d'État revient rapidement sur chaque mesure adoptée ou annoncée par le Gouvernement dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie, et des déchets.

Evaluation de la capacité des mesures prises à permettre d'atteindre l'objectif de réduction en 2030

Le Conseil d'État s'attarde sur les difficultés liées à l'appréciation de la capacité de la France à atteindre les objectifs de réduction des GES.

Si l'exercice de simulation réalisé par le CITEPA, à la demande du Gouvernement, indique que les mesures prises depuis juillet 2017 pourraient permettre d'atteindre une baisse de plus de 38 % des émissions des gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, il présente pour le Conseil d'État un degré d'incertitude significatif.

C'est en réalité sur la base du rapport du HCC publié en juin 2022 que le Conseil d'État va s'appuyer pour se prononcer.

Dans son rapport 2022, le HCC estime qu'il existe un risque avéré que l'objectif de réduction pour 2030 ne soit pas tenu. Sur les 25 orientations de la stratégie de baisse des émissions établie par le Gouvernement (stratégie nationale bas carbone, dite SNBC), seules 6 ont bénéficié de mesures en adéquation avec la trajectoire de réduction fixée. 4 d'entre elles pourraient même être regardées comme ayant fait l'objet de mesures de nature à compromettre l'atteinte des objectifs fixés dans le cadre de la SNBC (en particulier dans le secteur des transports, du bâtiment, de l'agriculture et de l'énergie).

Au total, comme le relève le Conseil d'État :

« Le Haut conseil pour le climat estime qu'il existe des risques majeurs persistants de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, eu égard notamment à la nécessité, à compter de la période couverte par le 3ème budget carbone (2024-2028), de doubler le rythme annuel de réduction de ces émissions par rapport à ce qui est observé depuis 2010. En effet, le rythme annuel moyen de réduction constaté depuis lors est de l'ordre de – 1,7 % alors que les 3ème et 4ème budgets carbone imposent un rythme annuel moyen de l'ordre de – 3,2 %, et ce, sans prendre en compte le rehaussement de l'objectif de réduction des émissions adopté à l'échelle de l'Union européenne. »

Par ailleurs, le Conseil d'État relève l'absence d'un véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents et sur une évaluation systématique de l'incidence des politiques publiques sur le climat soulignée par le HCC dans son rapport.

En conclusion, le Conseil d'État relève que l'ensemble des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021 montre la volonté du Gouvernement d'atteindre les objectifs de 2030 mais que l'évaluation de ces mesures repose sur des hypothèses non vérifiées à ce jour et que les conclusions de cette évaluation sont en contradiction avec l'analyse faite par le HCC.

Compte tenu de la nécessité d'accélérer la réduction des émissions dès 2024 et dans la perspective des nouveaux objectifs adoptés par l'Union européenne pour 2030 (- 55 % par rapport aux niveaux de 1990), il estime que demeurent :

« Des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en Suvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de gaz à effet de serre cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'Union européenne pertinents. »

Pour ces raisons, le Conseil d'État conclut que sa décision ne peut être regardée comme ayant été exécutée.

Conséquences de cette inexécution

Les requérantes lui demandaient d'en tirer toutes les conséquences en prononçant une astreinte d'un montant de 50 millions d'euros par semestre de retard5.

Cependant, le Conseil d'État, qui prend en compte le comportement du Gouvernement (les diligences déjà accomplies et celles qui sont encore susceptibles de l'être), considère qu'à ce stade il n'est pas opportun de prononcer une astreinte. Il préfère opter pour un contrôle régulier de l'exécution.

Ainsi, sans prononcer d'astreinte, il délivre une nouvelle injonction au Gouvernement « de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 précité en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. »

Footnotes

1. Conseil d'État, 1er juillet 2021, n°427301. Disponible à l'adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-conseil-d-etat-enjoint-au-gouvernement-de-prendre-des-mesures-supplementaires-avant-le-31-mars-2022

2. Conseil d'État, 10 mai 2023, n°467982. Disponible à l'adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-prendre-de-nouvelles-mesures-et-transmettre-un-premier-bilan-des-cette-fin-d-annee

3. Conseil d'État, 19 novembre 2020, n°427301. Disponible à l'adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee

4. Cf. Articles L. 911-5 et R. 931-2 du Code de justice administrative

5. Demande inspirée notamment de l'astreinte prononcée dans le cadre du contentieux relatif à la pollution atmosphérique. Cf. notre article intitulé Pollution de l'air : nouvelle condamnation de l'État publié sur notre Blog en octobre 2022

Pour lire en Anglais, veuillez cliquer ici.

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