Une décision arbitrale en droit du travail étoffée de la Colombie-Britannique, Teck Coal Ltd. (Fording River and Elkview Operations)  v. United Steelworkers, Locals 7884 and 9346, 2018 CarswellBC 119, est la dernière à s'inscrire dans une jurisprudence croissante sur la légitimité d'un employeur à instaurer unilatéralement des tests aléatoires de dépistage d'alcool et de drogues dans un milieu de travail syndiqué. L'arbitre a conclu qu'en l'espèce, l'imposition de tests aléatoires de dépistage ne constituait pas un exercice raisonnable des droits de la direction puisqu'il n'y avait pas de problème « généralisé » d'alcoolisme ou de toxicomanie suffisamment grave sur le lieu travail pour justifier une atteinte importante aux droits à la vie privée des employés.

Tout comme dans des causes antérieures traitant des tests aléatoires de dépistage, l'analyse de la Cour a essentiellement porté sur les aspects contradictoires de la sécurité au travail en regard du droit à la vie privée de l'employé. Dans l'affaire Irving, la juge Abella a résumé ainsi la jurisprudence arbitrale actuelle sur la question  : « [l]es arbitres ont rejeté massivement l'imposition unilatérale d'une politique de tests obligatoires, aléatoires et sans préavis s'appliquant à tous les employés d'un lieu de travail dangereux, estimant qu'il s'agissait d'une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés, sauf si cette politique repose sur un motif raisonnable, comme un problème généralisé d'alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail1 ».

Dans Teck Coal, toutefois, l'arbitre a rejeté l'argument du syndicat selon lequel le test Irving s'appliquait et a fait remarquer que dans Irving la Cour [Traduction] « ne faisait pas la loi en matière de tests de dépistage d'alcool et de drogues dans l'optique d'une application future par les arbitres et les tribunaux. Elle en était plutôt à réexaminer la décision d'un conseil d'arbitrage dans une affaire particulière pour déterminer si elle faisait partie de l'éventail des décisions raisonnables à la lumière des faits présentés et de la jurisprudence arbitrale applicable. Elle exerçait alors sa compétence en matière de surveillance relativement à un examen judiciaire, non pas une compétence de première instance2 ».

Un nouveau critère?

En fin de compte, l'arbitre a appliqué une version remaniée du test Irving, qui comportait [Traduction] « un processus de recherche du juste équilibre en trois temps, appuyé par une analyse de la proportionnalité3 », qu'il a apparentée au test Oakes pour justifier les limites imposées aux droits et libertés conférés par la Charte. Dans un premier temps, l'arbitre devait déterminer si la politique de tests aléatoires de dépistage portait atteinte à la vie privée des employés. Le cas échéant, il fallait dans un deuxième temps que l'employeur établisse le « motif », ou un besoin légitime justifiant ces tests. Pour ce faire, l'employeur devait prouver l'existence d'un problème généralisé d'abus d'alcool ou de drogues dans le milieu de travail. Dans un troisième temps, l'arbitre devait trouver le juste équilibre entre la nécessité de procéder aux tests et l'atteinte à la vie privée. Plus l'atteinte est grave, plus le fardeau de la preuve est lourd pour l'employeur. C'est uniquement dans le cas où le problème est suffisamment grave pour justifier des tests aléatoires de dépistage que l'arbitre passe à la troisième étape du test, à savoir l'étape de la proportionnalité. Il lui faut alors déterminer si les tests aléatoires peuvent constituer une mesure efficace pour répondre aux préoccupations de l'employeur et si un moyen moins intrusif de calmer ses inquiétudes sur le plan de la sécurité peut être mis en place4.

L'arbitre a estimé que la politique de tests aléatoires de Teck Coal portait atteinte à la vie privée des employés [Traduction] « de façon très invasive5 ».

Bien qu'on lui ait présenté des preuves de l'existence d'une culture qui incitait à travailler dur, mais à s'amuser ferme et, par là même, à consommer de l'alcool ou de la drogue en dehors du travail6, et d'autres éléments, fournis par des employés de Teck Coal, indiquant que la politique de tests aléatoires de dépistage avait contribué à changer cette culture7, l'arbitre a finalement conclu qu'en mettant en place des tests aléatoires de dépistage sur le lieu de travail, Teck Coal ne visait pas à lutter contre un problème particulier d'alcoolisme ou de toxicomanie, mais à traiter [Traduction] « un élément de risque qu'elle jugeait susceptible de nuire à la sécurité ». Selon l'arbitre, cet élément de risque ne constituait pas un problème en milieu de travail qui était démontrable. L'arbitre a semblé considérer que, puisque la culture de consommation d'alcool et de drogue [Traduction] « n'était pas si différente de celle de bon nombre d'autres collectivités de villes industrielles », elle ne constituait pas un « problème en milieu de travail démontrable8 ». Dès lors, la politique de tests aléatoires de dépistage n'était pas justifiée.

Après avoir réglé la question du juste équilibre dans son analyse, l'arbitre devait maintenant s'attaquer à l'étape de la « proportionnalité ». Il a conclu que, même si Teck Coal avait franchi l'étape de la recherche du juste équilibre, les tests aléatoires de dépistage ne constituaient pas une mesure proportionnelle, car le taux d'accident de Teck Coal était déjà en recul grâce à d'autres mesures de sécurité que la société avait prises. [Traduction] « Dans une large mesure, les arguments à l'appui des tests aléatoires de dépistage dans cette procédure ne tiennent pas la route en raison de la profonde détermination de Teck Coal [...] à rendre l'exploitation houillère dans l'Elk Valley aussi sécuritaire que possible. [...] Les tests aléatoires sont un recours exceptionnel en raison de leurs conséquences sur le droit à la vie privée, si bien qu'on les réserve pour des circonstances particulières, lesquelles font défaut en l'espèce en raison de l'engagement marqué et des efforts fructueux de Teck Coal sur le plan de la sécurité9 ».

Considérations à l'endroit des employeurs

Cette décision laisse penser que, d'un point de vue pratique, il sera très difficile, voire impossible, pour un employeur de justifier une politique de tests aléatoires de dépistage d'alcool et de drogue. À lui seul, le fait de démontrer l'existence d'un problème généralisé d'alcoolisme et de toxicomanie en milieu de travail peut ne pas s'avérer suffisant, à moins que le problème ne soit plus grave que celui observé dans d'autres milieux de travail ou collectivités semblables. Même si l'employeur réussissait à franchir l'étape initiale du juste équilibre, on pourrait faire valoir à l'étape de la proportionnalité qu'il existe des mesures moins intrusives pour traiter le problème généralisé d'alcoolisme et de toxicomanie en milieu de travail. Une fois ces mesures mises en place, l'employeur peut ne plus pouvoir démontrer l'existence d'un problème généralisé de consommation excessive d'alcool ou de drogue.

Même si la décision Suncor, qui fait l'objet d'un appel du syndicat à la Cour suprême10, aura beaucoup plus de répercussions sur le droit relatif aux tests aléatoires de dépistage d'alcool et de drogues, la décision Teck Coal, où l'arbitre a élaboré son propre test plutôt que d'appliquer celui d'Irving, met en lumière l'incertitude qui règne dans ce domaine du droit. En outre, dans un milieu non syndiqué, on pourrait soutenir que, dans Irving ou Suncor, les décisions des cours faisant suite à un examen judiciaire ne constituent pas des critères juridiques contraignants. Par conséquent, les circonstances dans lesquelles un test aléatoire de dépistage peut être justifié risquent de demeurer ambiguës pendant un certain temps.

Footnotes

1 Irving Pulp & Paper Ltd., 2013 SCC 34, al. 6.

2 Re Teck Coal Ltd. and USW, Local 7884, 2018 CarswellBC 119, al. 265 [Teck Coal].

3 Teck Coal, al. 288.

4 Teck Coal, al. 282-286.

5 Teck Coal, al. 328.

6 Teck Coal, al. 366.

7 Teck Coal, al. 183.

8 Teck Coal, al. 366.

9 Teck Coal, al. 426.

10 Unifor, Local 707A, 2017 CarswellAlta 2652.

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