Le 9 février 2024, dans le Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis  (2024 CSC 5), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a confirmé la constitutionnalité de la loi fédérale intitulée Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis  (la « Loi »). La Loi, aussi appelée « projet de loi C-92 », a été élaborée conjointement avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits dans le cadre de la mise en œuvre par le gouvernement fédéral de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA »).

La CSC a conclu que la Loi relève du pouvoir du Canada de légiférer à l'égard des « Indiens et [d]es terres réservées pour les Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle a également confirmé le droit du Parlement de reconnaître et d'affirmer dans la législation les droits des Autochtones à l'autonomie gouvernementale en matière de protection de l'enfance et de la famille. Toutefois, elle a clairement indiqué que l'affirmation du Parlement par voie législative ne signifie pas que ces droits sont protégés par la Constitution.

En 2023, le Canada est parvenu à un règlement de 23,34 milliards de dollars pour une action collective liée à la discrimination dans le système de services à l'enfance et à la famille des Premières Nations (un programme dans les réserves). Le projet de loi C-92 s'inscrit dans les efforts axés sur l'avenir du Canada pour éliminer cette discrimination.

La Loi et le jugement de la Cour d'appel du Québec

Le Parlement a adopté le projet de loi pour s'attaquer au problème de surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes des services à l'enfance et à la famille et reconnaître que les peuples autochtones sont les mieux placés pour identifier et mettre en œuvre les solutions à cet enjeu. La Loi est entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2020, mais elle a été contestée de façon préventive par le gouvernement du Québec, par renvoi à la Cour d'appel du Québec. Dans une décision de renvoi, le tribunal donne son avis sur des questions juridiques importantes soulevées par un gouvernement. La réponse du tribunal n'est pas contraignante, mais, en pratique, elle fait autorité. Le gouvernement du Québec a contesté la constitutionnalité du projet de loi C-92 pour deux motifs principaux :

  • Il soutenait que la Loi empiétait sur la compétence de la province en matière de services à l'enfance et à la famille.

    Le projet de loi C-92 crée des normes minimales nationales qui doivent être respectées partout au pays lorsque des services à l'enfance et à la famille sont fournis à des enfants et des familles autochtones et crée une voie vers la compétence autochtone en matière de services à l'enfance et à la famille au moyen d'une entente avec les gouvernements fédéral et provinciaux. De plus, la Loi donne force de loi à ces textes législatifs autochtones en tant que lois fédérales et leur donne préséance sur les lois provinciales ayant le même objet. Le gouvernement du Québec soutenait que ces pouvoirs outrepassaient les limites des compétences établies dans la Constitution et modifiaient celle-ci de façon inacceptable.
  • Il affirmait que le projet de loi C-92 modifiait la structure de la Constitution en introduisant un troisième ordre de gouvernement – les gouvernements autochtones – dans la Constitution du Canada.

    Selon le gouvernement du Québec, les droits des Autochtones à l'autonomie gouvernementale, s'ils existent, nécessitaient une modification de la Constitution ou une reconnaissance judiciaire préalable. Autrement dit, le Parlement ne pouvait pas unilatéralement créer un troisième ordre de gouvernement et, en confirmant le droit à l'autonomie gouvernementale, le Canada avait effectivement modifié la Constitution.

La Cour d'appel du Québec a rejeté bon nombre des arguments du gouvernement du Québec, mais a conclu que les articles 21 et 22(3), ceux qui accordent force de loi aux textes législatifs autochtones sur les services à l'enfance et à la famille et leur donnent ainsi préséance sur les lois provinciales incompatibles, étaient inadmissibles.

Elle a confirmé la reconnaissance législative par le Canada du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale au Canada, concluant que ce droit existe et est protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans ses motifs, le tribunal a examiné en profondeur l'historique et l'évolution du droit revendiqué à l'autonomie gouvernementale autochtone.

L'arrêt de la Cour suprême du Canada confirme l'entièreté de la législation

La Cour suprême du Canada a confirmé la Loi dans son ensemble, y compris les dispositions qui ont été invalidées par la Cour d'appel du Québec. La CSC a conclu que la Loi était un exercice de réconciliation et une mesure fondée sur l'engagement du Canada à mettre en œuvre la DNUDPA.

Contrairement à la Cour d'appel du Québec, la CSC a conclu que le Parlement a le pouvoir de mettre en œuvre un régime législatif en vertu duquel : a) les textes législatifs autochtones sont incorporés dans le droit fédéral; et b) les textes législatifs autochtones incorporés dans le droit fédéral l'emportent sur les lois provinciales incompatibles (ils sont « prépondérants »).

De plus, contrairement à la Cour d'appel du Québec, la CSC a refusé de déterminer si l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982  protège un droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale.

Le Parlement peut s'engager à reconnaître le droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale, mais il ne peut pas constitutionnaliser ce droit

L'un des principaux enjeux était la reconnaissance par le Parlement du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale, qui est reconnu dans le préambule et à l'article 18 de la Loi. La CSC a refusé de reconnaître judiciairement l'existence de ce droit au Canada dans cette décision. Selon la Cour, il n'était pas nécessaire de le faire pour évaluer la constitutionnalité de la Loiet, contrairement à la Cour d'appel du Québec, elle a laissé la question de côté pour le moment.

Le gouvernement du Québec avait soutenu que cette reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale équivalait à une modification de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et affirme les droits ancestraux existants des peuples autochtones au Canada. Selon le gouvernement du Québec, cette reconnaissance unilatérale par le Parlement était inadmissible; le droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale doit découler d'une modification officielle de la Constitution ou être reconnu par les tribunaux.

La CSC a conclu qu'il n'y avait pas de modification constitutionnelle du fait que le Parlement reconnaissait le droit par voie législative. Bien que la CSC ne se soit pas prononcée sur l'existence ou la portée du droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale, elle a conclu que le Canada était tenu, par sa propre législation, d'agir comme si le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale existait en matière de services à l'enfance et à la famille.

Dans son analyse, la CSC s'est fortement appuyée sur l'engagement du Canada à mettre en œuvre la DNUDPA et a reconnu que cette législation constituait un acte de réconciliation législative de la part du gouvernement fédéral. Contrairement à la Cour d'appel du Québec, la CSC n'a pas procédé à une analyse approfondie du droit à l'autonomie gouvernementale, estimant que la législation ne faisait que confirmer l'engagement du Canada à agir comme si ce droit existait. Elle a également réaffirmé le rôle qu'elle doit jouer pour déterminer et définir le contenu des droits constitutionnels des Autochtones au Canada.

Toutefois, cette décision indique clairement que le droit des Autochtones à l'autonomie gouvernementale existe probablement au Canada, bien que sa portée, son objet et son contenu n'aient toujours pas été établis. La CSC a affirmé que les droits à l'autonomie gouvernementale, dans la mesure où ils existent, « ne peuvent être exprimés en termes excessivement généraux » (para 112). La CSC analysera fort probablement plus en profondeur les droits des Autochtones à l'autonomie gouvernementale dans Cindy Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, une affaire sur laquelle elle doit se prononcer et portant sur l'application de la Charte canadienne des droits et libertés aux gouvernements autochtones autonomes.

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