La médiatique affaire luxembourgeoise d'une banque islandaise en liquidation vient de connaître un rebondissement.

Le 10 juillet 2014, la Chambre du Conseil de la Cour d'appel de Luxembourg a rendu un arrêt qui fera date (ci-après "l'Arrêt"). Les conseillers censurent une ordonnance de non-informer rendue par un juge d'instruction qui avait décidé la prescription de l'action publique relative à des faits dénoncés dans une plainte pénale déposée par un collectif de 108 parties civiles contre, entre autres, la banque en liquidation.

Les développements des conseillers portant sur l'incompétence du juge d'instruction quant à des faits s'étant produit sur d'autres territoires n'appellent pas de commentaires particuliers. La Chambre du conseil avait elle-même soulevé le moyen de compétence internationale et déclaré le juge d'instruction luxembourgeois incompétent pour les faits d'escroquerie. Les conseillers retiennent cependant la compétence territoriale pour d'autres faits reprochés aux anciens dirigeants de la banque (qualifiables de faux bilans et association de malfaiteurs) et, élément étonnant de l'Arrêt, pour blanchiment envisagé dans le chef de la liquidatrice.

La liquidatrice, qui est avocat de profession, avait été nommée par le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg siégeant en matière commerciale. Les avocats figurent au rang des professionnels soumis à la loi anti-blanchiment du 12 novembre 2004, mais pour une seule partie de leurs activités, à l'exclusion, notamment, des activités judiciaires. Les obligations de la loi anti-blanchiment (qui constitue le volet préventif de la lutte contre le blanchiment) ne s'appliquaient donc pas au mandat judiciaire confié à la liquidatrice. Au risque d'énoncer une évidence, il faut rappeler que l'activité judiciaire de l'avocat, si elle échappe au volet préventif de la lutte, reste néanmoins soumise aux dispositions du droit pénal réprimant le blanchiment d'argent.

En effet, l'absence d'obligation de dénoncer un soupçon de blanchiment (qui est issue de la loi anti-blanchiment) ne porte en rien préjudice à l'application de la loi pénale. En vertu de celle-ci, le professionnel qui reçoit des fonds dont il ne peut ignorer l'origine illicite, même dans le cadre de transactions légitimes, se rend coupable comme auteur, coauteur ou complice, de blanchiment.

L'Arrêt retient que la qualité de liquidateur judiciaire ne confère aucune immunité pénale. Partant de cette considération, les conseillers rappellent plus ou moins clairement, mais en tous cas de manière cruelle, que l'infraction de blanchiment a des caractéristiques bien particulières:

  • Il s'agit d'une infraction autonome, qui peut être réprimée en dehors de toute poursuite ou condamnation de l'infraction primaire dont elle est la conséquence;
  • L'infraction de blanchiment peut opérer à Luxembourg pour des infractions primaires commises à l'étranger;
  • Aucune limite dans le temps n'est prévue par la loi entre la commission de l'infraction primaire et l'acte de blanchiment.

L'Arrêt démontre que l'infraction de blanchiment est bien utile, car elle apparaît tantôt comme la voiture balais (là où l'on échouera avec les infractions classiques, l'infraction de blanchiment couvrira des réalités plus faciles à établir) ou comme l'infraction anti-prescription. L'infraction de blanchiment permet en effet de faire apparaître au grand jour des activités illicites passées. Comme le blanchiment est consécutif à une infraction, il suffit de retarder le point de départ de la prescription des infractions occultes (tel l'abus de biens sociaux) pour mieux faire courir le délai de prescription de l'infraction de blanchiment.

L'Arrêt ne précise pas l'hypothèse de blanchiment qui est envisagée dans le chef de la liquidatrice (le blanchiment-transfert, le blanchiment-utilisation, ou encore le blanchiment-détention) mais il y a lieu de rappeler les conditions essentielles à son éventuelle poursuite. A ce stade, et sans qu'il soit possible de prédire ce que le Ministère Public jugera opportun de conclure, on pense en premier lieu au franchissement d'un premier obstacle : le secret professionnel de l'avocat. Il n'est ainsi pas concevable qu'un avocat doive dénoncer des faits à l'autorité de poursuite. On rappellera en effet que l'avocat, lorsqu'il n'agit pas dans le champ d'application de la loi de 2004, n'est pas soumis à l'obligation de déclarer un soupçon. Au contraire, il reste pleinement tenu au secret professionnel selon l'article 458 du Code pénal.

D'autre part, les autorités poursuivantes auront l'obligation d'établir les éléments matériel et moral de l'infraction. Intrinsèquement, les actes constitutifs du blanchiment ne présentent aucun caractère répréhensible et ils ne deviennent punissables que lorsqu'ils portent sur des fonds provenant d'une infraction préalable.

L'élément matériel doit être rapporté par la preuve de l'existence d'un crime ou d'un délit ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect sur un bien. Le bien blanchi doit être:

  • l'objet de l'infraction ou des biens qui lui ont été substitués et qui sont donc indirectement reliés à l'infraction primaire,
  • ou le produit d'une infraction primaire ou d'un avantage patrimonial résultant d'une infraction primaire ou des biens qui lui ont été substitués.

L'origine illicite du bien nécessite donc d'une part de prouver que le bien détenu provient d'une infraction primaire et d'autre part, l'existence de cette infraction primaire ou en tout cas un faisceau d'indices concordants menant à la certitude de cette infraction primaire, doit être apporté pour que l'élément matériel de l'infraction soit constitué. S'agissant du délit de blanchiment, délit de conséquence, il appartient en premier lieu au Ministère Public de rapporter la preuve de l'origine délictueuse des fonds à blanchir.

L'élément moral, lui, trouve sa source dans l'intentionnalité de l'auteur de l'acte de blanchir le produit de biens dont il sait qu'il provient de la commission d'un crime ou d'un délit. Pour incriminer le blanchiment, le dol général, soit le fait pour le délinquant d'avoir la volonté de commettre l'infraction, est requis. Le présumé blanchisseur doit avoir en connaissance de cause commis l'un des actes constitutifs du blanchiment, c'est-à-dire qu'il devait avoir connaissance de l'origine illicite des biens ou des fonds lors de leur réception. Un doute même léger sur la connaissance que le prévenu a de l'origine délictueuse des biens ou des fonds devra lui être favorable. Mais il n'est pas nécessaire que le blanchisseur tire profit de l'opération.

Dans le pire cas de figure, la liquidatrice pourrait même être la seule personne poursuivie. Imaginons donc un instant que la liquidatrice judiciaire ait réalisé des actifs puis converti les fonds en résultant: cet acte parfaitement banal pourrait devenir blâmable si les autorités parviennent, globalement, à tracer les origines douteuses des fonds ainsi détenus/ convertis, et, partant, blanchis. Imaginons encore un instant que les auteurs des infractions primaires ne soient finalement pas poursuivis ou condamnés, notamment en raison d'une prescription de leurs infractions.

La liquidatrice serait alors poursuivie, voire condamnée, alors que les anciens dirigeants de la banque qui seraient à l'origine de la fraude échapperaient à toute poursuite. La liquidatrice n'aura pourtant que satisfait à sa mission judiciaire au bénéfice des créanciers. Et si la liquidatrice, tout à coup prise de doutes, n'avait pas procédé aux opérations de liquidation, qu'auraient dit ces mêmes créanciers?

Poussons le raisonnement jusqu'à l'absurde:

Le juge commissaire qui supervise les opérations de liquidation sera-t-il un complice ou un co-auteur du blanchiment? Les parties civiles qui seraient finalement indemnisées ne se rendraient-elles pas coupables de blanchiment-détention?

Les professionnels soumis à la loi de 2004, qui sont intervenus dans les transactions liées à la réalisation des actifs de la liquidation de la banque, devront-ils dénoncer un soupçon de blanchiment quand ils liront dans la presse que la liquidatrice est poursuivie pour blanchiment?

Cet Arrêt est un bien mauvais signal donné à la place, et l'on peut se demander si les avocats susceptibles d'agir comme curateurs ou liquidateurs accepteront encore d'être nommés par les tribunaux.

La lutte contre le blanchiment démontre une nouvelle fois certains aspects excessifs et aberrants et l'Arrêt vient d'ouvrir une brèche dont on n'a pas fini de mesurer l'étendue des conséquences.

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