Vérifiant avec soin que son établissement de la rue d'Antibes répondait bien aux critères de la loi du 13 juillet 1972 destinée à venir en aide aux commerçants indépendants, Massimo Dutti se voit remboursé de trois ans de Tascom par le Conseil d'Etat ! Le pourvoi formé par le ministre de l'Action et des comptes publics n'y a rien fait. Les enseignes seraient bien avisées d'examiner par le menu l'histoire des locaux qu'elles occupent. Si, selon l'arrêt commenté, il s'agit d'une exploitation commerciale inscrite sur le même périmètre et antérieure à 1960, c'est gagné !

L'année 2018 aura été riche en éclaircissements relatifs à l'appréciation de la condition d'ouverture des établissements pour la perception de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) !

Pour rappel, la loi du 13 juillet 19721 prévoit, dans son article 3, qu' «il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface des ventes des magasins de commerce de détail dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise». Les établissements ouverts avant le 1er janvier 1960 ne sont donc pas soumis à la Tascom.

Ceci étant dit, rien n'est dit ! En effet, différentes questions afférentes à la notion «d'établissements ouverts» sont susceptibles de se poser, et la réponse n'était pas toujours très claire ... :

  • qu'advient-il en cas de changement d'exploitant ?
  • qu'est-ce qu'un établissement ? Notamment, quel doit être le sort d'un établissement séparé en deux locaux différents, établis à des adresses distinctes ?
  • comment apprécier l'ancienneté lorsque l'exploitant actuel n'exploite qu'une partie des surfaces antérieurement intégralement affectées au commerce de détail ?

Certains de ces points étaient d'ores et déjà prévus par la loi du 13 juillet 1972, telle qu'explicitée dans la doctrine administrative, qui énonce notamment que «le changement d'exploitant pour quelque cause juridique que ce soit, notamment par transmission à titre onéreux ou gratuit ou par apport, même après fermeture pour travaux d'amélioration ou de transformation, n'est pas considéré comme constitutif de l'ouverture d'un nouvel établissement, pourvu que l'activité professionnelle demeure une activité de vente au détail»2.

Si la réponse est claire s'agissant des changements d'exploitant, la doctrine administrative ne prévoyait néanmoins pas les cas dans lesquels (1) un établissement unique est divisé en deux locaux situés à des adresses différentes et (2) le cas de l'appréciation de l'ancienneté dès lors qu'à la date d'établissement de la Tascom, seule une partie de l'établissement est exploitée. Il n'aura fallu qu'une seule et même année au Conseil d'Etat pour régler ces deux questions !

  1. Tout d'abord, dans un arrêt du 25 juin 2018, le Conseil d'Etat a considéré qu'en présence d'un établissement situé sur deux parcelles différentes dont l'une était exploitée pour la vente au détail avant le 1er janvier 1960 et l'autre non, la continuité de l'activité de commerce en détail depuis une date antérieure au 1er janvier 1960 devait être appréciée au niveau de l'ensemble des surfaces. Ainsi, par cette décision, le Conseil d'Etat vient lever une incertitude sur une notion qui n'avait jusqu'alors pas fait l'objet d'une position totalement tranchée. En effet, si la doctrine administrative précise que «lorsque plusieurs locaux d'une même entreprise sont groupés en un même lieu comportant une adresse unique ou sont assujettis à une même cotisation foncière des entreprises, ils constituent un seul établissement», elle demeure silencieuse s'agissant des cas d'établissements à adresses multiples. Nouvelle précision, donc !
  2. Ensuite, et c'est l'arrêt qui nous intéresse plus particulièrement ici, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 octobre 20183, a été amené à se prononcer sur le cas suivant :

    • une enseigne exploitait le rez-de-chaussée et le premier étage d'un établissement depuis 2008 préalablement constitué d'espaces commerciaux plus importants (5 étages) ;
    • à ce titre, elle avait acquitté la Tascom au titre des années 2010, 2011 et 2012. Elle avait néanmoins demandé la restitution des sommes versées, estimant que l'établissement devait être considéré comme ouvert avant le 1er janvier 1960 et affecté à une activité de commerce et de détail de manière interrompue ;
    • l'administration fiscale refusait de se conformer à cette appréciation de l'ancienneté, sa position ayant été validée par le tribunal administratif dans un jugement du 30 juin 2016 (n° 1301081) ;
    • l'enseigne a fait appel de ce jugement et la cour administrative d'appel de Marseille4 s'est rangée à son appréciation, estimant que les surfaces répondaient bien aux conditions posées par l'article 3 de la Loi du 13 juillet 1972. Elle ordonne ainsi le dégrèvement de la Tascom versée.

La difficulté résidait ici dans le fait que l'enseigne n'exploitait qu'une partie des surfaces de l'établissement et ce depuis 2008, raison pour laquelle la condition d'ancienneté n'avait pas été considérée comme remplie par l'administration fiscale et le tribunal administratif. Cependant, dans son arrêt, le Conseil d'Etat, validant la position de la cour administrative d'appel de Marseille, est venu préciser l'appréciation de cette notion et fournit des éclaircissements pour le moins intéressants.

Notamment, il énonce que «lorsqu'un établissement n'exploite, dans un immeuble, qu'une partie des surfaces initialement affectées dans leur ensemble à la vente en détail, il n'est pas assujetti à la taxe considérée si la partie des surfaces qu'il utilise satisfait elle-même aux conditions précitées». Cette fois encore, le Conseil d'Etat rappelle le principe selon lequel l'affectation ininterrompue s'apprécie sur la base de l'ensemble des surfaces, mais il se prononce favorablement sur l'exonération des surfaces affectées à l'exploitation actuelle, même seulement de manière partielle !

Il résulte de ce principe que :

  • il importe peu que la surface de l'établissement ne soit pas entièrement exploitée en année N dès lors qu'elle l'a été, avant 1960 et au cours des années suivantes ;
  • au cas particulier, l'enseigne apportait la preuve de l'exploitation de l'intégralité des surfaces de l'établissement entre 1959 et 2007, notamment par le biais d'extrait d'annuaires (cette modalité de preuve étant usuellement acceptée en matière de Tascom, cf. CAA Lyon 29 septembre 2017 n° 16LY01038, 16 LY01458, 16LY01463, Sarl Zara France : RJF 2/18 n° 229) ;

En conclusion :

  • dans la mesure où il était indiscutable que (1) l'intégralité des surfaces avait été affectée de manière interrompue, entre 1959 et 2007, à une activité de commerce de détail et (2) la partie afférente à l'enseigne était exploitée depuis 2008 pour une activité similaire ; et où
  • l'emprise au sol de l'immeuble en litige n'avait pas fait l'objet de modification.

L'enseigne justifiait du respect des conditions prévues par l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972. Cette décision est donc particulièrement favorable aux nouveaux exploitants de locaux dont l'ensemble des surfaces étaient exploitées avant 1960 et ce pendant une période ininterrompue avant la reprise du bail, quand bien même seule une partie des surfaces est désormais affectée à l'exploitation.

L'heure est donc à la vigilance et il appartient aux exploitants d'obtenir des renseignements quant à l'ancienneté des établissements qu'ils exploitent : des contestations sont possibles sur les 3 dernières années !

Footnotes

1. Loi n°72-657 du 13 juillet 1972.

2. BOI-TFP-TSC-20180919 n°160.

3. CE, 12 octobre 2018 n°418315.

4. Arrêt n°16MA03040 du 19 décembre 2017, Cour administrative d'appel de Marseille.

Originally published by L'Argus de L'Enseigne .

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.