Taux bas, un problème pour les assureurs, un risque à venir pour les assurés ? (Article 21 bis de la Loi Sapin 2)

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (« le projet de loi Sapin2 ») a été adopté en première lecture par l'Assemblée Nationale le 14 juin 2016 et transmis le lendemain au Sénat, qui a amendé et adopté le texte modifié le 8 juillet 2016. Le texte est repassé devant le vote de l'Assemblée Nationale le 29 septembre 2016.

Certaines dispositions du texte impacteront de manière significative le secteur de l'assurance-vie.

C'est notamment le cas de l'article 21 bis du projet de loi Sapin2 qui vise à renforcer et rendre plus contraignants les pouvoirs du Haut conseil de stabilité financière (« HCSF ») sur le secteur de l'assurance en cas de risque systémique.

Le HSCF, créé par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 20131, est l'autorité macroprudentielle française chargée d'exercer la surveillance du système financier, d'en préserver la stabilité et de veiller à l'interaction entre les développements financiers et la stabilité économique.

L'article 21 bis a vocation à transposer une partie des mesures conservatoires individuelles dont dispose l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (« ACPR ») en matière microprudentielle en vertu de l'article L. 612-33 du CMF au domaine macroprudentiel. En vertu de ce nouveau texte, le HSCF pourra prendre à l'égard d'une partie ou de l'ensemble des organismes d'assurance (organismes exerçant une activité d'assurance directe, de réassurance, mutuelles et institutions de prévoyance) les mesures suivantes :

  • Limiter temporairement l'exercice de certaines opérations ou activités, y compris l'acceptation de primes ou versements,  Suspendre ou restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs,
  • Suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d'arbitrages ou le versement d'avances sur contrat,
  •  Limiter temporairement la distribution d'un dividende aux actionnaires, d'une rémunération des certificats mutualistes ou paritaires ou d'une rémunération des parts sociales aux sociétaires. »

La mesure conservatoire prévue au c) de l'article 21 bis permettra de fournir au HCSF un outil de régulation en cas de hausse brutale des taux. Le législateur estime en effet que si une telle hausse survenait, elle risquerait de provoquer une forte baisse de la compétitivité de certains supports, dont les fonds euros, entrainant un rachat massif de la part des souscripteurs d'assurance-vie. Cette mesure conservatoire de suspension des rachats permettrait donc d'éviter une décollecte massive des souscripteurs. La conséquence de rachats massifs pourrait, selon le législateur, amener les assureurs à vendre une partie conséquente de leur portefeuille obligataire, ce qui constituerait un mouvement susceptible de porter atteinte à la stabilité du système financier.

Concrètement, l'implémentation d'une telle mesure pourrait avoir pour conséquence l'arrêt du versement des primes aux clients de l'assurancevie, qui ne pourraient par ailleurs plus sortir de leurs contrats et récupérer l'argent épargné.

Les mesures prévues par l'article 21 bis sont directement inspirées du régime macroprudentiel applicable au secteur bancaire, en cas de risque systémique avéré.

Ces mesures sont particulièrement strictes. Dès lors, le dispositif proposé prévoit qu'elles ne puissent être activées que sur proposition du gouverneur de la Banque de France, président de l'ACPR, après avis du collège de supervision de cette Autorité. Initialement prévues par l'Assemblée nationale pour être mises en place pour une période de six mois renouvelables, le Sénat a modifié la disposition pour que ces mesures conservatoires ne durent que sur une période de trois mois renouvelables.

Il convient de préciser que la disposition permettant de suspendre et de limiter les rachats, prévue par l'article 21 bis, a fait l'objet de discussions animées au sein de la Commission des finances. Les députés se sont interrogés sur le risque de doublon avec l'ACPR, qui a déjà été saisie pour se prononcer sur l'impact des taux bas en matière d''assurance-vie. En outre, la question de la constitutionnalité de la mesure au regard du droit de propriété a également été soulevée par un autre député.

EIOPA – La messe est-elle dite ? Consultation du 4 juillet 2016 sur le projet d'avis technique relatif à la publication d'actes délégués concernant la Directive sur la Distribution d'Assurances

La Directive sur la Distribution d'Assurance n°2016/97/EC (« DDA ») modifie la directive 2002/92/CE sur l'intermédiation en assurance afin d'étendre son champ d'application aux compagnies d'assurances et autres entreprises qui vendent des produits d'assurance, en plus des agents et courtiers. La DDA introduit de nouvelles règles relatives à la protection des consommateurs, s'inspirant de règles adoptées récemment dans d'autres secteurs financiers.

Le 4 juillet dernier, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (« EIOPA ») a publié une Consultation sur le projet d'avis technique relatif à la publication de potentiels actes délégués concernant la DDA.

La publication de cette Consultation intervient à la suite de la demande d'avis technique émise par la Commission Européenne le 24 février 2016, qui a demandé que précisions soient faites sur les dispositions de la DDA en matière de gouvernance produits (article 25 de DDA), des conflits d'intérêts (article 17 et 28 de DDA), les inducements (article 29 de DDA) et sur Évaluation de l'adéquation et du caractère approprié, et information des clients (article 30 de DDA).

L'EIOPA indique que ses préoccupations pour la réalisation de cet Avis technique seront axées sur la protection des consommateurs à travers la régulation prudentielle et l'implémentation de règles de conduite.

Dès lors, l'objectif poursuivi est, dans un premier temps, de fournir un cadre pour une meilleure gouvernance, adéquation et accessibilité des produits d'assurance aux consommateurs et, dans un second temps, de développer un cadre adéquat de bonnes pratiques destinées aux réseaux de distribution captifs et aux intermédiaires garantissant que les conseils fournis aux clients sont fondés sur ce qui convient le mieux à leurs besoins et leurs profils.

En conséquence, l'avis technique de l'EIOPA devra permettre de répondre à trois objectifs :

  •  S'assurer que le produit d'assurance soit adapté aux besoins du consommateur durant toute sa durée de vie et prévenir ainsi les risques de ventes inadaptées,
  • S'assurer que les rémunérations versées par des tiers, comme les commissions, n'aient pas d'impact négatif sur les qualités du service rendu au consommateur,
  • S'assurer que les assureurs et les intermédiaires vendent aux consommateurs des produits d'assurance qui soient adéquats (pour les ventes conseillées) ou appropriés (pour les ventes sans conseil).

Dans sa Consultation, l'EIOPA demande les avis aux participants sur les propositions suivantes concernant (1) la gouvernance produit (product oversight governance), (2) les mesures organisationnelles, (3) la question des rémunérations et (4) les informations que le client devra fournir au distributeur.

La gouvernance produit (« product oversight governance »)

L'EIOPA propose un ensemble de règles applicables (i) aux producteurs proposant les produits qu'ils créent à la vente et (ii) aux distributeurs qui conseillent ou proposent à la vente des produits créés par des tiers.

  • Les producteurs de produits d'assurance

Concernant les producteurs proposant leurs produits à la vente, l'EIOPA requiert la mise en place de procédures internes de validation des produits avant leur distribution aux consommateurs, qui devront être proportionnées au niveau de complexité et de risque du produit concerné, ainsi qu'à la nature, l'ampleur et la complexité de l'activité du producteur.

A cet égard, L'EIOPA estime que les organes d'administration, de gestion ou de contrôle du producteur seront responsables pour la définition, la mise en oeuvre, la veille et la conformité des procédures de validation des produits. Dès lors, ces procédures devront faire l'objet d'une revue régulière afin que le producteur puisse assurer qu'elles soient toujours valides et actualisées selon les besoins.

La procédure de validation des produits avant leur distribution devra inclure également une définition du marché cible auprès duquel le produit crée devra être commercialisé. Le produit d'assurance devra répondre aux intérêts, caractéristiques et objectifs des clients. Le producteur pourra dès lors définir des groupes de clients présentant les mêmes intérêts, caractéristiques et objectifs et pour lesquels certains produits ne sont pas appropriés.

Le projet d'avis technique requiert des producteurs de procéder à des tests réguliers sur leurs produits, visant à s'assurer que durant toute sa durée de vie, le produit reste compatible avec les intérêts, caractéristiques et objectifs du marché cible. Si les tests ne sont pas concluants, le distributeur ne pourra pas commercialiser le produit.

Si le producteur identifie, pendant la durée de vie d'un produit, des facteurs liés au produit et de nature à faire courir un risque quelconque au client, le producteur devra prendre les dispositions appropriées pour atténuer et/ou prévenir la survenance du préjudice potentiel. Les dispositions prises en conséquence devront être communiquées aux distributeurs et aux clients finaux.

Le projet d'avis technique apporte des précisions quant à la sélection par le producteur des canaux de distribution pour les produits créés. Ils devront notamment mettre le distributeur en mesure de comprendre et de placer le produit auprès de clients relevant du marché cible défini, donc d'identifier les clients entrant potentiellement dans le champ de ce marché cible, et ceux qui en sont exclus.

Les obligations de gouvernance produit peuvent faire l'objet d'une délégation à un tiers. Enfin, toute les procédures et actions relatives à la gouvernance produit prises par le producteur de produits d'assurance devront être répertoriées pour les besoins d'audit, et tenues à la disposition des autorités de contrôle.

  • Les distributeurs de produits d'assurance

Les distributeurs qui conseillent ou proposent à la vente des produits créés par des entreprises tierces devront créer et mettre en place des procédures contenant des mesures appropriées visant à (i) prévenir et/ou atténuer les préjudices potentiels, (ii) déterminer une politique de gestion des conflits d'intérêts et (iii) s'assurer que les intérêts et les caractéristiques des clients sont pris en compte. Les procédures et mesures devront être proportionnées au niveau de complexité et de risques relatifs aux produits, ainsi qu'à la nature et à la complexité du produit proposé. Elles devront en outre faire l'objet d'une revue régulière afin que le distributeur puisse assurer qu'elles soient toujours valides et actualisées.

Ces procédures seront obligatoirement écrites et devront être mises à la disposition du personnel concerné. Les organes d'administration, de gestion ou de contrôle sont responsables de l'élaboration, de la mise en oeuvre, de la revue et du respect de ces procédures.

Les procédures mises en place devront permettre aux distributeurs de s'assurer que l'intégralité des informations nécessaires à la commercialisation des produits a été obtenue du producteur. Ces informations contiennent notamment le processus d'approbation des produits et le marché cible, afin que le producteur soit en mesure de commercialiser le produit auprès du marché cible et de ne pas le distribuer à des potentiels clients qui n'entreraient pas dans le champ défini par le marché cible. Le distributeur devra en outre obtenir toutes les informations nécessaires au respect de ses obligations réglementaires (informations sur les risques, frais et coûts, etc...).

La stratégie de distribution mise en place par le distributeur ne devra pas contredire le canal de distribution et le marché cible défini par le producteur du produit d'assurance.

Le distributeur aura pour obligation de tenir le producteur informé sans délai s'il constate que le produit n'est pas conforme aux intérêts, objectifs et caractéristiques du marché cible défini ou s'il a connaissance d'une circonstance de nature à faire accroître les risques encourus par le client.

Enfin, toute les procédures et actions relatives à la distribution des produits prises par le distributeur devront être répertoriées pour les besoins d'audit, et tenues à la disposition des autorités de contrôle.

Les mesures organisationnelles

Le champ de la consultation comprend également les mécanismes permettant de prévenir les conflits d'intérêts qui pourraient naître entre les distributeurs et les consommateurs lors de la vente de produits d'investissement fondés sur l'assurance.

Les intermédiaires en assurance et les entreprises d'assurance devront procéder à une évaluation interne des conflits d'intérêts. Cette évaluation vise à déterminer si, dans le cadre de la distribution d'un produit d'assurance donné, les directeurs, employés ou autres personnels liés directement ou indirectement à eux via un lien de subordination pourraient avoir un intérêt divergent de celui du client, au détriment de ce dernier.

Le projet d'avis technique de l'EIOPA prévoit une série de situations présentant un conflit d'intérêt, et qui devraient être identifiées comme telles.

  • La question des remunerations

La consultation de l'EIOPA porte sur les circonstances dans lesquelles des inducements ou des rémunérations provenant de parties tierces (commissions) pourraient être versées par les producteurs aux distributeurs.

L'EIOPA donne une définition des inducements très similaire à celle qui a été retenue lors de l'élaboration de la directive n° 2014/65/EU. Les inducements recouvrent donc tous les droits, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la distribution de produits d'investissement fondés sur l'assurance ou la fourniture d'un service annexe aux clients. La perception de ces inducements pourrait être préjudiciable pour le client si leur perception a pour effet d'encourager la distribution de produits qui ne sont pas en accord avec les meilleurs intérêts du client.

L'EIOPA a d'ores et déjà publié une liste nonexhaustive des rémunérations dont la perception présente un risque élevé d'impact négatif sur les qualités du service rendu au consommateur. Il s'agit notamment d'inducements encourageant l'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance à offrir ou à distribuer un produit ou un service à un client alors qu'un autre produit ou service conviendrait mieux à ses besoins, d'inducements fondés sur des critères commerciaux quantitatifs qui ne prendraient pas en compte la qualité du conseil ou du service rendu au client, mais encore d'inducements entièrement ou quasi-totalement payés d'avance.

En conséquence, des procédures devront être mises en oeuvre afin d'évaluer d'emblée si les inducements :

  • ne nuisent pas à la qualité du service rendu au client,
  • ne nuise pas à l'obligation faite aux intermédiaires et aux entreprises distribuant des produits d'assurance d'agir de manière honnête, équitable et professionnelle aux mieux des intérêts de leurs clients,
  • les intermédiaires et les entreprises d'assurance devront s'assurer que tout schéma d'inducement permettant la perception d'inducement soit validé par la direction,
  • les intermédiaires et les entreprises d'assurance devront produire un rapport sur l'évaluation de chaque inducement perçu, sur un support durable,
  • La politique de gestion des conflits d'intérêt devra contenir une politique des cadeaux et des avantages acceptables et interdits.
  • Les précisions sur les informations que le client devra fournir au distributeur

La consultation aborde également la question de savoir comment le client sera en mesure d'évaluer l'adéquation du produit d'investissement à l'assurance proposée au consommateur en fonction des informations communiquées.

Test d'adéquation

L'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance devra déterminer l'étendue de l'information à recueillir à la lumière des caractéristiques du conseil fournit au client.

Sans préjudice de l'obligation faite au distributeur de commercialiser des produits s'accordant avec les besoins et les demandes du client, les intermédiaires et les entreprises d'assurance devront obtenir des clients ou des clients potentiels certaines informations leur permettant de s'assurer que leur recommandation :

  • correspond aux objectifs poursuivis par le client, incluant sa tolérance aux risques,
  • correspond à sa situation financière, y compris à sa capacité à gérer des pertes, et
  • si le client a les connaissances et l'expérience requises en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service qui sera proposé.

L'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance effectue ce test afin d'assurer le client que les recommandations soient faites dans son meilleur intérêt.

L'EIOPA précise par ailleurs que lorsque les tests d'adéquation sont conduits via un système semiautomatisé, l'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance fournissant ce service sera responsable de la conduite du test d'adéquation.

En cas de contrats d'assurance collective, lorsque plusieurs personne sont assurées ou parties au contrat d'assurance, l'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance devra établir et mettre en oeuvre une politique permettant de désigner la personne qui sera soumise au test d'adéquation.

L'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance devra prendre des mesures raisonnables pour s'assurer que les informations obtenues sont fiables. A cet égard, l'EIOPA insère dans le projet d'avis technique une liste non exhaustive de mesures à mettre en oeuvre.

Lorsque l'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance n'est pas en mesure de recueillir les informations nécessaires, elle se voit interdite de distribuer au client un produit d'investissement fondé sur l'assurance. Par ailleurs, la distribution d'un produit qui ne serait pas approprié au client est prohibée.

Test du caractère approprié

Sans préjudice de l'obligation faite au distributeur de commercialiser des produits s'accordant avec les besoins et les demandes du client, les intermédiaires et les entreprises d'assurance devront déterminer si le client dispose des connaissances et de l'expérience nécessaires pour comprendre les risques liés au produit proposé ; lorsque le produit d'assurance est proposé via des activités de distributions d'assurance autres que celles prévues par l'article 30 (1) de la DDA, c'est-àdire dans le cadre d'évaluation du caractère approprié de la vente sans conseil.

Eléments communs aux tests d'adéquation et de caractère approprié

Le projet d'avis technique de l'EIOPA contient une liste des informations nécessaires à recueillir, qui sont relatives à la connaissance et l'expérience du client en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service qui sera proposé (par exemple, le type de services ou de produits auxquels le client est familier, la nature, le volume ou le montant des transactions qu'il a déjà effectué, etc...).

L'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance ne doit pas décourager le client de fournir les informations nécessaires à l'évaluation de l'adéquation et du caractère approprié du produit à ses besoins.

Enfin, l'intermédiaire ou l'entreprise d'assurance est habilité à se fonder sur les informations fournies par le client, sauf s'il sait que lesdites informations sont manifestement obsolètes, erronées ou incomplète.

La Consultation contient deux annexes dont (i) un résumé des questions posées aux participants et (ii) une étude d'impact.

La Consultation prendra fin le 3 octobre 2016 et l'avis technique de l'EIOPA devra être rendu à la Commission Européenne en février 2017.

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