Les fondements de l'organisation du droit commercial international mis en place après 1945 sont sérieusement ébranlés. Mais des solutions de substitution existent. L'Europe, en particulier, peut et doit se donner les moyens de défendre ses intérêts dans ce nouvel âge de la mondialisation.

Nul besoin d'être spécialiste du droit commercial international pour constater que les fondements de son organisation mise en place sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, sont sérieusement ébranlés. Les traités multilatéraux négociés dans le cadre de l'OMC sont remplacés par des traités bilatéraux : le plus récent est l'accord de partenariat économique UE-Japon d'avril 2018 ; le plus célèbre est le CETA entre l'UE et le Canada signé en octobre 2016 qui comporte un mécanisme de règlement des différends en matière de protection des investissements particulièrement novateur. La démonstration est faite que face à la panne de l'OMC, des solutions de substitution existent et fonctionnent.

Les États-Unis en rupture

Cela étant, l'Europe peut s'inquiéter face aux récentes initiatives de l'allié américain. Le TTIP (ou TAFTA) qui devait faire progresser les échanges pour le bien-être des deux partenaires a vu ses négociations suspendues sine die. Le retrait des États-Unis de l'accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien remet à l'ordre du jour les sanctions susceptibles d'être infligées sur la base des lois Helms- Burton et d'Amato-Kennedy aux entreprises ayant des relations commerciales avec les pays sous embargo américain (Cuba, Iran, Lybie et Soudan). En dehors même du cas des embargos décrétés par le Congrès américain, de plus en plus de législations anticorruption se veulent à portée extraterritoriale, comme cela est le cas de longue date du FCPA américain (Foreign Corrupt Practices Act), plus récemment du Bribery Act au Royaume-Uni et, last but not least, de la loi Sapin 2. Aujourd'hui, les partenaires européens, canadiens ou chinois des États-Unis sont soumis par ailleurs à des droits de douane, notamment sur l'acier et l'aluminium de nature à déjouer les anticipations de croissance de nombre d'entreprises.

Un arsenal législatif européen

Faut-il en prendre acte ? Oui. Faut-il s'en lamenter ? Non. Si l'on prend le seul exemple de l'Europe, les moyens d'un rééquilibrage ne manquent pas. La revitalisation du règlement européen de 1996, communément baptisé « blocking statute », est une tentative qui n'est pas à négliger ; même si, face à la puissance des États-Unis, son effet de neutralisation de l'extraterritorialité des sanctions américaines risque d'être atténué.

Deux autres pistes sont porteuses. La première est celle du droit européen. L'Europe est armée lorsqu'elle se dote de lois véritablement fédérales. En témoignent la demande faite à Apple de rembourser 13 milliards d'euros à l'Irlande pour aide d'État illégale, ou encore l'amende de 4,3 milliards d'euros infligée à Google pour pratique anticoncurrentielle. Le droit de la protection des données personnelles est un autre exemple probant. Dès lors que, pour une fois, l'Europe est la première à définir la norme et une norme extraterritoriale, le reste du monde doit s'y conformer. Aussi est-il notamment urgent que l'Union européenne mette en place un arsenal législatif anti-corruption et anti-fraude fiscale en mesure de concurrencer les dispositifs américain, chinois ou brésilien. C'est la seule façon efficace d'établir la réciprocité requise dans la poursuite et la répression des pratiques les plus répréhensibles des acteurs économiques opérant dans l'ensemble du monde.

Un cadre juridique international

Mais le processus législatif européen est long et aléatoire. Aussi ne faut-il pas se limiter à attendre l'adoption de ces nouvelles lois européennes. Il faut dès maintenant envisager de faire face à l'extraterritorialité en tant que phénomène intrinsèquement lié à la mondialisation. Les conflits de lois, voire de traités, deviennent monnaie courante. Les tribunaux seront bien obligés, comme ils commencent à être tenus de le faire, de régler ces conflits. La voie judiciaire n'est cependant pas toujours adaptée au temps nécessairement contraint des échanges commerciaux internationaux.

On pourrait donc songer à la mise en place d'un cadre juridique international fixant les critères de règlement des conflits de lois et de traités. Or là encore, ce temps long de négociation peut apparaître peu adapté. Dans ces conditions, c'est aux associations internationales, comme la Chambre de commerce internationale, et aux organisations non gouvernementales de faire ce travail précurseur d'élaboration de lignes directrices permettant de transcender ces conflits. Non contraignantes, elles pourraient servir de «template » et progressivement acquérir suffisamment de crédibilité pour être un outil utile au service des acteurs concernés.

Originally published in Echanges Internationaux

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.