Qu'est-ce que le JCPOA?

Suite aux suspicions relatives à l’éventuelle création d’une arme nucléaire par l’Iran, la communauté internationale et plus précisément les pays du P+5 (les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume Uni, l’Allemagne), l’Union Européenne et l’Iran ont conclu un accord en 2015 connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). En vertu de cet accord, l'Iran a accepté de limiter ses activités nucléaires et de permettre aux inspecteurs de l’International Atomic Energy Agency (IAEA) d'accéder à tout site qu'ils jugent suspect en échange de la levée des sanctions économiues qui paralysaient le pays.

La sortie des Etats-Unis

Le 8 mai 2018, le président a annoncé sa décision de cesser la participation des États-Unis au plan d'action global commun (JCPOA), et de commencer à réimposer les sanctions nucléaires américaines qui ont été levées pour effectuer l'allégement mentionné dans le JCPOA. En effet, suite à une période de 90 jours et de 180 jours, les sanctions applicables reprendront leur plein effet. Après avoir annoncé que « les États-Unis se retireront de l'accord nucléaire iranien », Donald Trump a également mentionné son intention d’ « instituer le plus haut niveau de sanction économique ». Il ajoute : « Toute nation qui aide l'Iran dans sa quête d'armes nucléaires pourrait également être fortement sanctionnée par les États-Unis ». Le lendemain, il menace l’Iran de « conséquences très graves » s’il décidait de relancer son programme nucléaire.

Après le 4 novembre 2018, l'OFAC (Office of Foreign Assets Control) s'attend à ce que toutes les sanctions américaines liées au nucléaire qui ont été levées en vertu du JCPOA soient réimposées et pleinement appliquées. Les personnes engagées dans une activité entreprise en vertu des sanctions américaines prévues dans le JCPOA devraient prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ces activités au plus tard le 6 août 2018 ou le 4 novembre 2018, selon le cas, afin d'éviter l'application de sanctions en vertu de la loi américaine. Il est important de préciser que les sanctions qui seront réimposées concernent principalement les sanctions secondaires qui avaient été levées sous le JCPOA. Ces sanctions secondaires, contrairement aux sanctions primaires, se réfèrent aux personnes non américaines, aux filiales étrangères de sociétés américaines ou de sociétés contrôlées par des sociétés américaines pour un comportement précis impliquant l’Iran et se produisant hors des Etats-Unis.

La réponse européenne : l’invocation de la « loi de blocage » de 1996

L’annonce de la sortie des Etats-Unis a impacté l’Europe de différentes manières et a suscité diverses réactions de la part de la communauté européenne.

Les autres signataires du pacte se sont engagés à poursuivre leur engagement en faveur de l'accord et ont encouragé l'Iran à respecter ses responsabilités. En effet, une déclaration conjointe de la première ministre Theresa May, de la chancelière Angela Merkel et du président Emmanuel Macron a été émise suite à l’annonce du président américain, au sein de laquelle ils annoncent ensemble leur « engagement continu envers le JCPOA ». Les ministres des affaires étrangères de l'Union Européenne ont rencontré leur homologue iranien pour discuter de la façon dont ils pourraient maintenir l'accord nucléaire sans les États-Unis. En particulier, les deux parties ont discuté de la façon de maintenir les recettes circulant en Iran à la lumière des sanctions en suspens.

De plus, en réponse à l’annonce de Trump et dans le but de protéger les entreprises européennes, Jean-Claude Juncker, président de la Commission Européenne a fait part de son intention de réactiver une loi de 1996 afin d’empêcher les entreprises européennes de se conformer aux sanctions que les États-Unis pourraient réintroduire contre l’Iran. Ce processus sera aussi appelé « loi de blocage » ou « blocking statute ». En effet, Juncker a déclaré que : « en tant que Commission européenne, nous avons le devoir de protéger les entreprises européennes, nous devons agir maintenant, et c'est pourquoi nous lançons le processus d'activation de la « loi de blocage » de 1996 ». Il a ajouté que les dirigeants européens « ont également décidé de permettre à la Banque Européenne d'Investissement (BEI) de faciliter les investissements des entreprises européennes en Iran » et a déclaré que la Commission continuerait à coopérer avec l'Iran.

Cette « loi de blocage » de 1996 entraine des difficultés non seulement dans les relations entre l’Europe, l’Iran et les Etats-Unis mais également pour les entreprises européennes qui se trouvent au milieu d’un dilemme assez complexe : risquer les représailles des Etats-Unis pour continuer les investissements en Iran ou choisir d’éviter ce pays en s’opposant à la Commission Européenne. En effet, les compagnies européennes sont dans une position assez délicate car elles font face à des pénalités de la part des États-Unis mais également de leur propre gouvernement. En continuant leurs activités avec l’Iran, elles risquent des peines assez graves de la part du gouvernement américain, Donald Trump annonce que « Toute nation qui aide l'Iran dans sa quête d'armes nucléaires pourrait également être fortement sanctionnée par les États-Unis ». Cependant, si les compagnies européennes décident d’arrêter leurs affaires avec l’Iran, elles pourront être sanctionnées par la communauté européenne, dans ce cas, il reviendra à chaque État membre de fixer les pénalités qui s’appliqueront aux entreprises.

Le terme de « loi de blocage » peut être défini comme une loi adoptée dans une juridiction locale qui tente d'entraver l'application d'une loi faite par une juridiction étrangère. C’est le cas de la législation de 1996 qui protège « contre les effets de l'application extraterritoriale de la législation adoptée par un pays tiers ». Ce règlement européen avait déjà été utilisé dans le but de contourner un embargo commercial américain sur Cuba et des sanctions liées à l’Iran et à la Libye. Cependant, l’efficacité de ce texte n’a jamais vraiment été prouvée car ces conflits ont été résolu de manière politique. Au sein du conflit actuel, Jean-Claude Juncker a annoncé le 17 mai 2018 son intention d’invoquer la « loi de blocage » de 1996 afin de contrebalancer les effets de l'application extraterritoriale des futures sanctions américaines contre l’Iran. En plus de leur interdire de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines sous peine de pénalités fixées par chaque Etat membre, la loi de blocage ouvre également aux entreprises européennes la possibilité d’être indemnisées de tout dommage découlant de ces sanctions par la personne morale ou physique qui en est à l'origine c’est-à-dire les Etats-Unis. Enfin, elle annule les effets dans l'Union Européenne de toute décision de justice étrangère fondée sur ces sanctions.

Compte tenu de l’état actuel du conflit iranien auquel font face les compagnies européennes aujourd’hui, il est important de préciser les divers effets qu’entrainera le texte européen :

  • Dans un premier temps, le 6 juin et conformément à son annonce du 16 mai, la Commission Européenne, afin d’activer le statut de blocage de l’Union Européenne, a adopté un acte délégué pour modifier l'annexe du règlement 2271/96 en ajoutant dans son champ d'application les sanctions secondaires américaines liées à l'Iran et ayant une application extraterritoriale. L'acte délégué entrera en vigueur si a) ni le Parlement ni le Conseil ne s'y opposent dans un délai de deux mois, ou b) une fois qu'ils ont informé la Commission qu'ils ne s'opposent pas à la modification. Si aucune objection n'est soulevée, les actes mis à jour seront publiés et entreront en vigueur au plus tard le 6 août 2018, au moment où le premier lot de sanctions américaines réimposées prendra effet.
  • Dans un deuxième temps, une fois les sanctions américaines réimposées ajoutées à l'annexe, le statut de blocage imposera aux sociétés constituées dans les États membres de notifier la Commission dans un délai de 30 jours chaque fois que les sanctions extraterritoriales américaines renouvelées affectent directement ou indirectement les intérêts économiques ou financiers de la société. Les entreprises de l'Union Européenne ne pourront pas se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines identifiées dans la loi de blocage mais elles pourront effectuer une demande d’autorisation permettant le respect total ou partiel des sanctions américaines si elles démontrent que leur non-respect porterait grave atteinte aux intérêts de la société en question. Les entreprises européennes pourraient chercher à obtenir des dommages-intérêts dans les tribunaux de l'Union Européenne à la suite des sanctions. La loi de blocage annulera l’effet dans l’Union Européenne de tout jugement de tribunaux étrangers basés sur les sanctions américaines réimposées. Enfin, les entreprises de l'UE pourraient être sanctionnées ou pénalisées pour violation des exigences de la loi de blocage. Chaque État membre déterminera les sanctions ou pénalités applicables en cas de violation.
  • Dans un troisième temps, si le statut de blocage entre en vigueur, les compagnies européennes se trouveront alors devant un véritable conflit de lois. En fonction de leurs investissements sur le marché américain, elles devront choisir quelles sanctions respecter et vers quel continent se tourner ; un choix qui s’avérera plutôt facile pour les compagnies européennes très actives aux États-Unis.

En ce qui concerne l’effectivité de cette loi de blocage, elle reste assez abstraite, sa mise en pratique n’a jamais été vraiment prouvée. Elle a été adoptée en 1996 en grande partie pour contrecarrer les sanctions extraterritoriales américaines à l'encontre de Cuba, de l'Iran et de la Lybie. Au fil du temps, alors que l'Union Européenne se coordonnait de plus en plus avec les États-Unis dans la lutte contre le programme nucléaire iranien, la réglementation de l'UE sur le blocage ne concernait que l’embargo américain sur Cuba. La loi de 1996 n'a cependant pas été promulguée car les désaccords ont été réglés par d'autres moyens, notamment politiques. Cependant, cette loi a été invoquée en 2007 quand l'Etat autrichien a menacé de sanctions administratives la banque autrichienne Bawag pour avoir fermé les comptes de clients cubains à la demande de son nouveau propriétaire, un fonds américain. Les mesures ont finalement été abandonnées lorsque la banque a repris ses relations d'affaires avec les citoyens cubains en question, rappelle la Commission Européenne. Il semble que ce texte ne s’est jamais révélé effectif en pratique que ce soit pour sanctionner une entreprise ou agir en tant que bouclier contre l’effet de sanctions extraterritoriales.

On pourrait également considérer cette loi comme un élément de discussion entre les Etats-Unis et l’Union Européenne. De plus, si beaucoup de gouvernements européens voient cette loi comme un outil politique qui pourrait faire pression sur l’intention des Etats-Unis de mettre en place leurs punitions financières, il faut cependant garder à l’esprit le fait que ce texte européen sera difficile à appliquer dû au système bancaire international mais aussi à l'importance des États-Unis sur les marchés financiers internationaux.

En conséquence, la « loi de blocage » serait plus utile aux petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées aux Moyen-Orient et moins investies aux Etats-Unis plutôt qu’aux grandes compagnies actives sur le marché américain. Ces-derniers font pression sur leurs gouvernements pour leur accorder des dérogations individuelles.

En outre, menacées par de sévères sanctions et la perte éventuelle de financement des banques américaines, certaines entreprises européennes prévoient de quitter l’Iran.

La compagnie d'assurance Allianz, basée en Allemagne, et la multinationale danoise Maersk ont déjà annoncé leur intention de fermer leurs portes en Iran afin d'éviter d'être frappées par des sanctions américaines. S'adressant à CNN, le PDG de Siemens (SIEGY), Joe Kaeser, a déclaré que son entreprise ne pourrait pas faire de nouvelles affaires en Iran après que le président Donald Trump ait décidé de renoncer à l'accord et de réimposer les sanctions américaines. Le groupe pétrolier français Total risque de quitter le pays au plus tard le 4 novembre prochain si d'ici là il n'obtient pas de dérogation des États-Unis.

Des répercussions économiques importantes pour les entreprises francaises

En plus de ses conséquences sur les entreprises européennes, la sortie des Etats-Unis du Pacte global commun entraine des répercussions économiques assez importantes pour les entreprises françaises et notamment les constructeurs automobiles qui réalisent plus d’une vente sur quatre sur le marché iranien.

C’est le cas de PSA et Renault qui ont déjà engagé des investissements importants, à hauteur de 300 millions d'euros, et 660 millions respectivement. Nissan qui est également très implantée aux États-Unis risquerait d’être impactée par cette décision. Nous avons également mentionné Total qui a récemment conclu un projet de 4,8 milliards de dollars pour développer et produire du gaz au sud de l’Iran. Et enfin, Airbus qui s’est engagée pour la vente d’une centaine d’avion pour un montant de 10 milliards de dollars.

Quelle issue pour les compagnies européennes ?

À ce jour, il existe très peu de preuves indiquant comment la loi de blocage a été appliquée en pratique. L’application de cette loi de blocage afin de protéger les entreprises européennes reste abstraite et hypothétique. Premièrement, il n’existe aucune information publique relative aux notifications émises par les entreprises européennes ou autres personnes concernées par les sanctions américaines. Ensuite, on ne sait pas dans quelle mesure les entreprises européennes ont été capables, si c’est le cas, d’obtenir des dommages et intérêts concernant les sanctions. De plus, aucun cas n’a été signalé dans lequel une personne aurait été sanctionnée pour le non-respect des exigences de la loi de blocage. Enfin, la Commission n’aurait accordé aucune autorisation, totale ou partielle, aux entreprises de l'UE en raison d'un préjudice potentiel grave aux intérêts d'une entreprise de l'UE ou de l'UE.

Alors que le texte européen peut s’avérer utile pour les PME peu impliquées aux Etats-Unis, il semble assez superflu pour les compagnies européennes actives sur le marché américain qui ne seront, de facto, pas protégées par cette législation de 1996.

Il sera important pour les entreprises qui se sont engagées dans des activités conformes aux sanctions prévues par le JCPOA de suivre de près et d'examiner l'activité, les sanctions américaines spécifiques qui sont réimposées et la corrélation avec l'annexe révisée une fois entrée en vigueur. Que vous soyez un particulier ou un professionnel et particulièrement une entreprise européenne ayant besoin de conseils, n’hésitez pas à contacter nos avocats et conseillers américains pour toute question que vous pourriez avoir sur la loi de blocage et ses effets, les sanctions américaines qui seront réimposées ainsi que des conseils pour vous assurer le respect de la loi américaine.

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