Dans ses motifs concis, la Cour suprême des États-Unis établit sans difficulté que l’America Invents Act (AIA) n’a pas modifié la portée de l’interdiction de brevet en cas de mise en vente, et conclut ce qui suit :

La loi sur les brevets qui était en vigueur immédiatement avant l’adoption de l’AIA prévoyait une interdiction de brevet en cas de mise en vente. L’interprétation de cette disposition par la présente Cour à ce jour appuie la thèse qu’une vente ou une offre de vente n’a pas à avoir pour effet de mettre une invention à la disposition du public pour constituer de l’art antérieur invalidant le brevet. La Cour d’appel fédérale a rendu explicite ce qui était implicite dans ce précédent de la Cour d’avant l’AIA, jugeant que les « ventes secrètes » sont susceptibles d’invalider un brevet. Compte tenu de ce précédent incontestable antérieur à la mise en vigueur de l’AIA, la Cour fait jouer la présomption qu’en reprenant le même libellé de mise en vente (« on sale ») dans l’AIA, le Congrès a adopté la construction judiciaire antérieure de cette expression. L’ajout de l’expression générale « ou autrement accessible au public » est un changement insuffisant pour que la Cour puisse conclure que le Congrès avait l’intention de modifier le sens de « mise en vente ». (Citations omises) [TRADUCTION]

Helsinn Healthcare SA (Helsinn) est une entreprise pharmaceutique suisse qui a acquis le droit de développer le palonosétron, l’ingrédient actif d’un médicament nommé Aloxi. Helsinn a conclu deux ententes avec MGI Pharma, Inc. (MGI), une entreprise pharmaceutique du Minnesota, à titre de partenaire de commercialisation du palonosétron : une licence d’utilisation et une entente d’approvisionnement et d’achat.

Les deux ententes contenaient des renseignements posologiques et exigeaient que MGI assure le secret de tous les renseignements confidentiels reçus dans le cadre de celles-ci. Helsinn et MGI en ont fait l’annonce dans un communiqué de presse conjoint, et MGI les a signalées à la Securities and Exchange Commission, sans toutefois dévoiler les compositions posologiques précises couvertes par les ententes.

Près de deux ans après la conclusion des ententes, soit le 30 janvier 2003, Helsinn a déposé une première demande de brevet provisoire, suivie d’une série de demandes ultérieures. Une quatrième demande de cette série a été déposée en mai 2013 et publiée en tant que U.S. Patent No. 8 598 219 (le brevet 219). Le brevet 219 concerne une dose fixe de 0,25 mg de palonosétron dans une solution de 5 ml. Selon sa date de prise d’effet, le brevet 219 est régi par l’AIA.

Tant la législation antérieure à l’AIA que l’AIA elle-même comprennent une disposition relative à la « mise en vente », précisée au sous-paragraphe 102(a)(1) de l’AIA, qui se lit comme suit :

« Une personne a droit à un brevet sauf [...] si l’invention revendiquée a été brevetée, décrite dans une publication imprimée ou est d’usage public, en vente ou autrement offerte au public avant la date de prise d’effet de son dépôt. » [accentuation ajoutée] [TRADUCTION]

Bien que l’AIA comporte de nombreuses modifications substantielles apportées à la disposition relative à la nouveauté, le changement essentiel, en l’espèce, est l’intégration de l’expression générale « ou autrement accessible au public ».

Comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour de district a décidé que la disposition relative à la « mise en vente » ne s’appliquait pas. Elle a conclu qu’en vertu de l’AIA, une invention n’est pas « en vente » à moins que la vente ou l’offre en question mette l’invention revendiquée à la disposition du public. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision, concluant que « si l’existence de la vente est publique, les détails de l’invention n’ont pas à être divulgués au public dans les conditions de vente » [TRADUCTION] pour relever de l’interdiction de brevet en cas de mise en vente de l’AIA. La vente entre Helsinn et MGI ayant été rendue publique, elle a estimé que l’interdiction de brevet en cas de mise en vente s’appliquait.

Citant diverses décisions antérieures, la Cour suprême note que pour promouvoir l’objectif « d’encourager l’innovation et le développement » tout en « évitant les monopoles qui découragent inutilement la concurrence », le Congrès a imposé plusieurs conditions sur les « occasions limitées d’obtenir un droit de propriété sur une idée ». [TRADUCTION] L’une de ces conditions est l’interdiction de brevet en cas de mise en vente, qui tient compte de la « réticence du Congrès à permettre à un inventeur de retirer de l’utilisation publique des connaissances existantes » en obtenant un brevet portant sur ces connaissances (elle explique, en citant une autre décision, que « cela retarderait considérablement le progrès de la science et des arts appliqués » pour permettre à un inventeur de « vendre publiquement son invention » et ensuite « prendre un brevet » et « interdire ainsi au public d’utiliser davantage son invention autrement que ce qui en découle ».) [TRADUCTION]

La Cour observe que le Congrès a édicté l’AIA en 2011 dans un contexte où un ensemble important de règles juridiques interprétait l’article 102 portant sur l’interdiction de brevet en cas de mise en vente. Elle fait observer en outre que bien que « la présente Cour n’a jamais abordé la question précise présentée en l’espèce, nos précédents suggèrent qu’une vente ou une offre de vente n’a pas à mettre une invention à la disposition du public ». [TRADUCTION] Elle note également que la Cour d’appel fédérale a formulé explicitement ce qui était implicite dans les précédents de la Cour, où celle-ci a longtemps soutenu que les « ventes secrètes » peuvent invalider un brevet. Se référant aux observations verbales de l’amicus des États-Unis, elle souligne que si le terme mise en vente avait un sens bien établi avant l’adoption de l’AIA, alors l’ajout de l’expression « ou autrement accessible au public » à la loi « serait une façon indirecte de tenter de renverser » cet « ensemble de règles établies ». [TRADUCTION]

Par conséquent, la Cour conclut que « puisque le terme mise en vente a acquis un sens bien établi lors de la promulgation de l’AIA, nous refusons de lire l’ajout d’une phrase générale de façon à altérer cet ensemble de précédents » [TRADUCTION].

Au moins un mémoire d’amicus curiae fait valoir que restreindre la disposition relative à la nouveauté aux seules activités qui divulguent l’invention assure la conformité des États-Unis à la norme de nouveauté absolue en vigueur dans la plupart des grands pays industriels. Bien que cela soit exact, une disposition qui piège une vente non divulguée ou une utilisation commerciale n’est pas incompatible avec une norme de nouveauté absolue. La disposition relative à la nouveauté prévue dans la loi sur les brevets de l’Afrique du Sud porte sur les « inventions utilisées en secret à une échelle commerciale en Afrique du Sud avant la date de dépôt (date de priorité) » [TRADUCTION].

En sus de la restriction géographique, un tel critère « à deux volets », qui se fonde sur la divulgation publique et sur l’utilisation commerciale, assure sans doute une égalité des chances accrue pour toutes les inventions. Toutes les demandes de brevet doivent alors être déposées avant la première divulgation publique ET la première utilisation commerciale (sans tenir compte de tout délai de grâce applicable). Une norme de nouveauté fondée uniquement sur une divulgation au public pourrait très bien traiter toutes les inventions sur un même pied d’égalité au regard des communications publiques. Toutefois, quant à l’exploitation commerciale, elle divise simplement les inventions en celles qui sont exploitables sans divulgation publique avant le dépôt, et celles qui ne le sont pas. L’exploitation commerciale de presque toutes les inventions mécaniques se solde par une divulgation publique, de sorte que celles-ci ne peuvent pratiquement pas être exploitées avant la date critique; par contre, de nombreuses technologies, comme certaines inventions de procédés, peuvent être amplement exploitées en secret sans divulguer l’invention.

Fait intéressant, le Canada semblerait être le seul pays qui aurait expressément supprimé une disposition relative à la « mise en vente » de sa Loi sur les brevets il y a plus de 20 ans, laquelle était formulée de façon très semblable à la disposition actuelle des États-Unis. La présente norme canadienne de nouveauté est fondée uniquement sur la divulgation de l’invention de manière à la rendre disponible au public, harmonisant ainsi le droit canadien avec les normes internationales, ce qui, selon certains, est l’intention de l’AIA.

Bien que la décision soit claire, il est suggéré que la portée exacte de l’interdiction de brevet en cas de mise en vente demeure susceptible de causer des difficultés et pourrait nécessiter davantage de clarification par les tribunaux. Une disposition générale, fondée sur un principe et non sur une activité précise comme l’« exploitation commerciale », rendrait certainement beaucoup plus facile pour un tribunal de conclure que toute activité, si elle résulte en une « exploitation commerciale », donne lieu à l’application de la disposition. Il y existe beaucoup d’inventions plus récentes dont l’exploitation commerciale peut être bien éloignée de la simple vente d’un produit physique breveté. Par exemple, plusieurs inventions liées à l’informatique, en supposant qu’elles franchissent l’obstacle de la brevetabilité de l’article 101, peuvent être exploitées dans le cadre de la prestation d’un service, notamment sur Internet, de sorte que ce qui a été « mis en vente » n’est pas un produit physique et se trouve à plusieurs maillons de l’invention brevetée.

Une autre difficulté éventuelle, qui n’avait pas besoin d’être abordée en l’espèce, est que la loi ne fait aucune distinction entre des activités de « mise en vente » de l’inventeur et celles d’un tiers. L’article 102 d’avant l’AIA, comme l’indique son titre : « CONDITION DE BREVETABILITÉ, NOUVEAUTÉ ET DE PERTE DE DROIT À UN BREVET » [TRADUCTION], inclut notamment le concept de PERTE DE DROIT, ce qui constitue une base pour distinguer les droits de l’inventeur de ceux des tiers. L’article 273 de l’AIA relatif à la défense de contrefaçon protège les droits des tiers. Selon la rédaction de cette disposition, la prémisse claire est que l’« utilisation commerciale » par un tiers ne constitue pas de l’art antérieur invalidant le brevet. Toutefois, il a sans doute été rédigé selon l’interprétation que toute « utilisation commerciale » secrète antérieure, peu importe par qui, serait exclu de l’art antérieur, en raison de l’incidence de l’expression générale « ou autrement accessible au public ». On peut noter que l’article 273 utilise le terme utilisation commerciale plutôt que mise en vente, lequel, tel que suggéré, est certainement un terme plus général qui permettra aux tribunaux de conclure à sa pertinence pour toutes les utilisations de la technologie moderne.

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