Dans un avertissement aux grands donneurs d'ouvrages, la Cour d'appel rappelle qu'il existe des limites à l'utilisation de sa position économique privilégiée... et à l'exploitation d'une situation financière précaire.

En mai dernier, la Cour d'appel s'est prononcée dans Hydro-Québec c. Construction Polaris inc. sur les limites des tactiques de négociations qui peuvent être utilisées lorsque les forces économiques en présence sont asymétriques. Elle en profite pour commenter de nouveau la notion de « prisme déformant », récemment abordée par la Cour suprême dans l'affaire Matte-Thompson c. Salomon.

Mais d'abord, un résumé des faits s'impose.

Les services de Construction Polaris avaient été retenus par Hydro-Québec afin de construire le tronçon d'une route d'accès au chantier hydroélectrique de la Romaine. Dès les débuts du contrat, Polaris remplit des conditions d'exécutions imprévues la menant à une position financièrement précaire. En manque de liquidité, elle réclame en février 2011 18 millions $ à Hydro-Québec afin de pouvoir poursuivre les travaux. Lors des négociations, Polaris accepte d'ouvrir ses livres permettant à la société d'État de confirmer que la situation financière est critique et met en péril l'achèvement des travaux.

Les négociations entre les parties culminent le 25 mai 2011 alors qu'une rencontre entre Hydro-Québec et Polaris est organisée afin de finaliser ce que cette dernière comprenait être un financement temporaire de 4 millions $. Plutôt que le financement envisagé, Hydro-Québec suggère que l'ensemble de la réclamation de Polaris, qui atteint maintenant 24 millions $ avec 40-45 % du travail à être effectué, soit réglé pour la somme de 10 millions $ en échange d'une quittance pour les réclamations passées, présentes et futures. Acculée à la faillite et confrontée à un ultimatum de deux heures par Hydro-Québec, Polaris accepte et signe une convention.

Nous notons toutefois qu'Hydro-Québec suggérait en première instance qu'il existait un débat sur la portée réelle de la Convention quant aux réclamations futures.

Les jugements en première instance et en appel

La Cour supérieure est plus tard saisie par Polaris d'une réclamation de 63 millions $ à l'encontre d'Hydro-Québec. D'abord, le juge gestionnaire scinde l'instance afin que la question de la validité de la convention soit d'abord tranchée. Dans un jugement détaillé, le juge Michel A. Pinsonnault annule ladite convention, estimant que le consentement exprimé par Polaris était vicié par la crainte d'un préjudice sérieux, en l'occurrence son immanquable faillite. De l'avis du juge Pinsonnault, la mauvaise foi d'Hydro-Québec était évidente dans les circonstances.

Hydro-Québec porte en appel la décision. Elle soutient que le juge a erré en droit en concluant à sa mauvaise foi. Cette conclusion, selon Hydro-Québec, est le résultat d'une appréciation de la preuve à travers un « prisme déformant » puisque le juge ne pouvait inférer la mauvaise foi des avantages tirés par Hydro-Québec de la précarité financière de Polaris.

La Cour d'appel rejette l'argument.

Rappelant les enseignements du juge Clément Gascon dans Salomon, elle réitère d'abord que la notion de « prisme déformant » ne peut servir à justifier une nouvelle évaluation de la preuve par une cour d'appel. La présence de mauvaise foi de la part d'Hydro-Québec est une question de fait, ou mixte de fait et de droit, et rien ne laisse croire à la présence d'une erreur manifeste et déterminante qui permettrait la révision de la décision. Néanmoins, la Cour d'appel suggère que le juge Pinsonnault disposait de nombreux éléments de preuve au soutien de sa conclusion quant à la mauvaise foi : le court délai attribué afin de répondre à l'offre; l'absence de préavis quant à la teneur de la réunion; ou l'exigence d'une quittance pour les réclamations futures d'un projet dont une large part restait à réaliser. La Cour d'appel maintient le jugement annulant la convention.

Trois acteurs, trois leçons

Tout d'abord, sur le fond, la Cour d'appel suggère que les parties profitant d'une grande asymétrie économique avec leur cocontractant doivent faire preuve de prudence dans la façon dont cet avantage est exploité. À cet égard, les donneurs d'ouvrage institutionnels (par exemple les organismes publics, parapublics, villes et municipalités) prendront bonne note de ne pas franchir les limites établies par le juge Pinsonnault.

Cette décision confirme aussi que les avocats qui souhaitent fonder leur appel sur la notion de « prisme déformant » ne pourront faire l'économie d'identifier une erreur révisable. En effet, la Cour d'appel prend acte des commentaires du juge Gascon dans Salomon, lesquels suggèrent que ce concept ne peut servir à contourner les standards d'appels établis par l'arrêt Housen c. Nikolaisen.

Finalement, la Cour d'appel aborde de biais la scission de l'instance comme outils de gestion suggérant qu'elle ne devrait être ordonnée qu'avec parcimonie. À ce sujet, elle suggère que la scission a soulevé de nombreuses difficultés notamment quant aux limites de la preuve qui pouvait être admise à ce stade. En effet, bien qu'elle puisse permettre d'économiser les ressources judiciaires, la scission mène parfois à des complications menant à une plus grande dépense de ces mêmes ressources, contrairement à l'esprit des principes directeurs de la procédure.

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