Il y a une nouvelle lueur d'espoir pour les propriétaires de marques de commerce qui détiennent des enregistrements visant les services hôteliers, mais sans hôtel « physique » au Canada. La tendance dominante des dernières années a été que les marques de commerce visant les « services hôteliers » ne pouvaient être maintenues au Canada en réponse à une procédure sommaire d'annulation pour défaut d'emploi, à moins qu'il y ait un hôtel physique au Canada. Toutefois, la décision rendue le 7 septembre 2018 par la Cour fédérale dans l'affaire Hilton Worldwide Holding LLP v Miller Thomson, 2018 FC 895Hilton ») n'a pas suivi cette tendance, infirmant la décision du registraire de radier l'enregistrement de la célèbre chaîne hôtelière Hilton pour la marque WALDORF-ASTORIA en liaison avec des « services hôteliers ».

Contexte

Le premier hôtel WALDORF-ASTORIA a ouvert ses portes à New York dans les années 1930. Il existe aujourd'hui des dizaines d'hôtels WALDORF-ASTORIA dans les grandes villes du monde, mais aucun au Canada. En réponse à l'avis prévu à l'article 45, Hilton a déposé une preuve d'emploi de la marque WALDORF-ASTORIA au Canada en liaison avec les services suivants : un site Web interactif, des services de réservation à l'échelle mondiale, des points de récompense aux membres des programmes de fidélisation canadiens, des communications avec les clients canadiens arborant la marque et, ce qui est sans doute le plus important, des réductions aux clients pour les chambres prépayées non remboursables (plus de 1 300 réservations ont été payées par des clients canadiens au cours des trois années en question).

Décision du Bureau des marques de commerce

Devant le Bureau des marques de commerce, la preuve initiale de Hilton a été jugée insuffisante pour établir l'emploi de la marque en liaison avec des « services hôteliers ». Selon l'agent d'audience, [Traduction] « [c]ontrairement aux services d'un magasin de détail... un hôtel ne peut être exploité au moyen d'Internet ou d'un numéro de téléphone; il est illogique d'assimiler la possibilité de faire des réservations d'hôtel ou autres à l'exploitation d'un hôtel ».

Le registraire s'est largement appuyé sur une décision antérieure ayant trait aux services hôteliers, à savoir Stikeman Elliott LLP c Millennium & Copthorne International Limited, 2017 COMC 34 (« M Hotel »). Cette affaire traitait de deux marques visant « des services hôteliers et services de réservation en rapport avec des hôtels ». L'hôtel lui-même était situé à Singapour, mais les réservations pouvaient être faites par les clients au Canada par l'entremise du site Web de l'hôtel, et l'hôtel offrait des services de planification d'événements aux Canadiens qui organisaient des événements à l'hôtel. Le registraire a conclu que la plateforme de réservation du site Web qui, comme l'a démontré la preuve, a été consultée par des clients au Canada au cours de la période pertinente, constituait un « emploi » suffisant pour maintenir l'enregistrement à l'égard des services de réservation. Cependant, en l'absence d'un hôtel physique au Canada, les « services hôteliers » ont été radiés, malgré la prestation de services « accessoires », comme la planification d'événements, aux clients au Canada.

La décision en question, tout comme cette décision-ci et d'autres décisions hôtelières, portait sur la question de savoir si les « services hôteliers » étaient prêts à être exécutés au Canada. Le paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce prévoit qu'une marque est réputée « employée » en liaison avec des services si « elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services ».

Ce qui constitue un « service » n'est pas défini par la Loi. Certaines décisions judiciaires antérieures ont statué que lorsque l'exécution des services annoncés ne pouvait être effectuée que par un voyage à l'étranger, il n'y avait pas utilisation « au » Canada [voir Marineland Inc c Marine Wonderland and Animal Park Ltd (1974), 16 CPR (2d) 97 (CFPI)].

D'autres décisions plus récentes ont cependant laissé entendre que l'exécution de services connexes ou accessoires au Canada pourrait constituer un « emploi » en liaison avec les services principaux ou primaires. Par exemple, dans l'affaire Venice Simplon-Orient-Express Inc c Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF (2000), 9 CPR (4th) 443 (CFPI) (« Orient Express »), la Cour fédérale a jugé que la capacité des clients au Canada de réserver ou de payer des services ferroviaires au Canada pouvait soutenir l'« emploi » de la marque pour des « services de voyage, nommément un service de transport de passagers par train », même si le train physique se trouvait en Europe.

Malgré ces affaires, la Commission des oppositions conclut depuis 2012 que l'exécution de services « hôteliers » accessoires au Canada ne constitue pas l'« exécution » de « services hôteliers » au Canada [Bellagio Limousines v Mirage Resorts Inc, 2012 TMOB 220, la décision M Hotel 2017 et Ridout & Maybee LLP c Sfera 39-E Corp, 2017 COMC 149 (collectivement les « affaires hôtelières »)].

Dans la décision Hilton devant la Commission des oppositions, le registraire s'est appuyé sur les affaires hôtelières dans sa décision de radier l'enregistrement de WALDORF-ASTORIA, soutenant que [Traduction] :

Les états déclaratifs des produits et des services doivent être dressés dans les termes ordinaires du commerce et on doit les interpréter ainsi. Il s'agit d'une interprétation téléologique, et non d'une interprétation scientifique. Si quelqu'un dit qu'il offre des [Traduction] « services hôteliers » au Canada, le consommateur moyen s'attend à trouver un hôtel. Si le client doit quitter le Canada pour pouvoir profiter réellement du service, il ne s'agit pas de [Traduction] « services hôteliers ». Tel qu'indiqué dans Bellagio et M Hotel, il est contraire au sens commun d'assimiler la possibilité d'effectuer une réservation dans un hôtel à l'exploitation d'un hôtel. De même, même si l'on peut profiter d'un programme de fidélisation au Canada/à partir du Canada, il ne s'agit pas de l'offre de [Traduction] « services hôteliers ». Les [Traduction] « services hôteliers » ne sont pas les termes ordinaires du commerce pour un programme de fidélisation.

... je souligne que le Manuel des produits et des services de l'OPIC prévoit expressément les termes [Traduction] « services hôteliers » et « hôtels » comme termes préapprouvés, distincts d'autres services liés aux hôtels comme la [Traduction] « réservation d'hôtels », les « services de réservation d'hôtels », la « gestion hôtelière » et la « gérance administrative d'hôtels pour des tiers ».

Conflit entre les affaires de services de magasins de détail et les affaires de services hôteliers

Les affaires d'hôtellerie contrastent nettement avec les affaires récentes portant sur les services de magasins de détail, notamment TSA Stores, Inc. c Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273 (« TSA »). Dans cette affaire, la requérante TSA était le deuxième détaillant d'articles de sport le plus important au monde, comptant environ 400 magasins de détail aux États-Unis où l'on vend de l'équipement de sport et de conditionnement physique. Elle a exploité pendant un certain temps six magasins au Canada, mais ils ont été fermés en 2000.

TSA détenait quatre enregistrements pour divers produits et services, dont « l'exploitation de magasins de détail spécialisés dans la vente de matériel et de vêtements de sport », et « les services de magasin de détail, y compris équipement et vêtements de sport ». En appel, et avec preuve additionnelle, TSA a soutenu que (i) ces marques étaient employées sur son site Web, (ii) son site Web était accessible au Canada, (iii) le mot « services » doit recevoir une interprétation large et (iv) la Loi sur les marques de commerce ne fait pas de distinction entre les services primaires, secondaires et accessoires. Dans la mesure où des membres du public, consommateurs ou acheteurs, tirent un avantage de l'activité, il s'agit d'un service en vertu de la Loi sur les marques de commerce.

La Cour fédérale a statué que même si TSA ne pouvait pas démontrer de ventes au Canada et que, même si son site Web n'offrait pas de capacité de commerce électronique, « les Canadiens profitent de ces services » et l'emploi de « services de magasins de détail » a été établi, étant donné que le site offrait un service « Shoe Finder » (pour trouver les chaussures qui répondent le mieux à un besoin spécifique), un service « Help Me Choose Gear » (fournissant la description détaillée d'une vaste gamme de produits) et un service « Store Locator » (permettant à l'utilisateur de trouver la boutique la plus proche aux États-Unis).

Selon la Cour, [Traduction] « ....visiter ce service sur le site Web s'apparente à une visite sur place d'un magasin et revient à discuter avec un vendeur bien informé ».

La décision Hilton de la Cour fédérale

En appel, Hilton a tenté de distinguer les diverses affaires d'hôtellerie mentionnées ci-dessus, en faisant remarquer qu'elles étaient toutes devant la Commission des oppositions. De plus, ces décisions ne traitaient pas du type de preuve dont le registraire était saisi en l'espèce (y compris une définition des services hôteliers propre à l'industrie), ni d'une preuve du nombre de réservations de chambres prépayées. En outre, les affaires d'hôtellerie étaient, a-t-on fait valoir, incompatibles avec la définition du terme « services » dans l'affaire TSA, qui a été invoquée dans des dizaines d'affaires ultérieures (mais jamais dans une affaire concernant des hôtels).

Hilton a également déposé une preuve supplémentaire en appel, plus précisément une preuve, démontrant qu'au moment de l'enregistrement de WALDORF-ASTORIA en 1988 (et au moins jusqu'en 2006), les termes « services hôteliers » et « gestion d'hôtels » figuraient comme descriptions approuvées dans le Manuel des produits et des services de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada, alors que les termes « services de réservation hôtelière », et « services de réservation d'hôtel » n'y étaient pas. Hilton a soutenu qu'au moment de la demande et de l'enregistrement, le terme « services hôteliers » était considéré par l'OPIC comme suffisamment large pour inclure les « services de réservation hôtelière ».

En appel, la première question consiste habituellement à déterminer la norme de contrôle. En ce qui concerne la nouvelle preuve, le juge Pentney a conclu que la norme de contrôle judiciaire était celle de la décision correcte, mais en ce qui concerne la preuve existante, il a appliqué la norme du caractère raisonnable. Fait intéressant, le juge Pentney a conclu qu'en évaluant la preuve existante, le registraire avait commis une erreur déraisonnable à plusieurs égards :

  • Ne pas respecter l'autorité exécutoire en ce qui concerne l'étendue des services, y compris les services primaires, secondaires et accessoires (p. ex. les affaires TSA et Orient Express).
  • Ne pas examiner la nature des avantages tirés par les personnes au Canada dans le cadre de la prestation de « services hôteliers ». Plus précisément, le contact direct qu'a eu Hilton avec des clients au Canada, dont certains ont payé leur chambre d'avance en échange d'un tarif réduit, et dont certains ont reçu des points pour des séjours à l'hôtel.
  • Ne pas tenir compte de la formulation exacte utilisée dans l'enregistrement lui-même. Sur ce point, le juge Pentney a déclaré, aux para 86 à 90 :

    ... j'estime que le terme « services hôteliers » inclut forcément des éléments connexes dont certains doivent être fournis dans un hôtel traditionnel, mais d'autres aussi pour lesquels il est désormais tout naturel de considérer qu'ils peuvent être « exécutés » (du point de vue du propriétaire inscrit) ou qu'on peut « en tirer avantage » (du point de vue du client) au Canada.

    Selon moi, l'inclusion des services de réservation ne dénature aucunement le sens ordinaire du terme « services hôteliers » tel qu'il était entendu en 1998 et au cours de la période pertinente. C'est d'autant plus vrai si, comme c'est le cas ici, la transaction entière est effectuée en ligne au Canada et si les Canadiens bénéficient d'une série d'avantages qui s'ajoutent à leur séjour proprement dit dans un hôtel.

    La preuve à ma disposition révèle que c'est le terme « services hôteliers » (hotel services) qui figure dans l'enregistrement de Hilton... La preuve indique par ailleurs qu'en 2006, le Manuel incluait « services hôteliers » dans les termes préapprouvés aux fins de l'enregistrement, mais non l'expression plus précise [traduction] « services de réservation d'hôtel »... À mon avis, la terminologie utilisée dans la version actuelle du Manuel ne peut servir de fondement à une interprétation de la portée des enregistrements antérieurs à l'adoption de cette terminologie si elle est dénuée de toute explication quant à la pertinence des ajouts plus récents...

    À mon avis, on peut inclure les services de réservation d'hôtel dans le terme « services hôteliers » pour établir l'emploi d'une marque de commerce en liaison avec des services dans une instance introduite aux termes de l'article 45, à condition que cet emploi ait permis à des personnes de tirer des avantages concrets et importants à partir du Canada.
  • Ne pas tenir compte de la seule preuve de l'interprétation ordinaire de l'expression « services hôteliers », à savoir l'affidavit du conseiller juridique, Marques et propriété intellectuelle de Hilton, qui a déclaré que dans le secteur hôtelier, l'expression « services hôteliers » comprend les services de réservation et de paiement et l'accès aux chambres d'hôtel.
  • Appliquer la version actuelle du Manuel des produits et des services pour interpréter le sens d'un enregistrement remontant à 1988.

Les enseignements

À première vue, cette décision aligne les affaires sur les hôtels concernant les services aux magasins de détail, comme TSA. Toutefois, il sera intéressant de voir dans quelle mesure cette décision sera appliquée à l'avenir. Par exemple, dans le contexte de futures affaires de « services hôteliers », les tribunaux se concentreront-ils sur l'interactivité du site Web de l'hôtel et sur les « avantages » accordés aux Canadiens? Se demanderont-ils si les hôtels offrent des services de réservation prépayés (ou potentiellement d'autres) aux Canadiens? Se concentreront-ils plus étroitement sur le moment où l'enregistrement est accordé pour déterminer comment le terme « services hôteliers » (ou autre terme comparable) devra être interprété? Nous ne sommes peut-être pas au bout de cette affaire, cependant, puisque l'intimée a jusqu'au 7 octobre 2018 pour interjeter appel. 

Jonathan G. Colombo

et Amrita V. Singh de Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l. ont représenté Hilton Worldwide Holding LLP dans cette affaire.

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