Le 30 octobre 2018, le gouvernement fédéral a présenté la Loi n° 2 d'exécution du budget de 2018 au Parlement (nous l'appellerons le « projet de loi » pour faciliter la lecture). Une partie importante du projet de loi consiste en un certain nombre de modifications apportées aux lois canadiennes sur la propriété intellectuelle, dont bon nombre n'avaient pas été annoncées ou discutées auparavant. L'un des domaines de changement concerne les nouvelles règles de propriété intellectuelle applicables en cas d'insolvabilité. Ces nouvelles règles s'appliqueront pratiquement à tous les types de procédures d'insolvabilité, dont l' avis d'intention de faire une proposition, la proposition, la faillite et la mise sous séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« LFI »), ainsi que les procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC »).

Si les modifications sont adoptées dans leur forme actuelle, elles garantiront généralement que les titulaires de licences en propriété intellectuelle (y compris les titulaires de licences exclusives) demeurent protégés même si le titulaire de la PI engage des procédures en vertu de la LFI/LACC. Plus précisément, les modifications garantissent qu'en cas d'insolvabilité, le droit du titulaire de licence d'utiliser la propriété intellectuelle ne serait pas compromis par la vente ou la disposition de la propriété intellectuelle à un tiers ni ne serait éteint si l'entente est résiliée par la personne insolvable, le syndic de faillite ou un séquestre. Dans le cas des titulaires de licences exclusives, ils conserveraient également le droit de faire valoir leur exclusivité à l'égard des tiers.

La nécessité de ces modifications découle des droits parfois précaires des titulaires de licences et autres utilisateurs de PI dans le contexte de la restructuration ou de la liquidation d'un concédant de licence insolvable. Par exemple, advenant la disposition d'actifs dans un contexte d'insolvabilité, il est courant pour le débiteur d'obtenir du tribunal une ordonnance de dévolution déclarant que les actifs seront « dévolus » à l'acheteur libres et quittes de tous droits, titres, intérêts ou autres droits personnels et réels qui peuvent avoir trait à ces actifs. Dans une telle situation, une ordonnance de dévolution peut être utilisée dans le contexte d'une vente de PI afin de purger cette PI d'ententes moins rentables qui s'y rattachent, de manière à ce que l'acheteur puisse acheter la PI libre et quitte de ces ententes. Cela pourrait bien entendu priver les titulaires de licences du droit d'utiliser la propriété intellectuelle.

Le projet de loi intègre également les modifications apportées en 2009 à la LFI et à la LACC concernant la propriété intellectuelle dans ses dispositions relatives aux faillites et aux mises sous séquestre.1 Ces modifications de 2009 limitaient les droits de rejeter ou de résilier les ententes dans le contexte de propositions en vertu de la LFI et de procédures en vertu de la LACC uniquement, et les tribunaux ont été réticents à étendre ces limitations à d'autres contextes d'insolvabilité,2 affirmant que dans ces autres situations, les titulaires de licences n'avaient que des droits contractuels, ceci faisant en sorte qu'en vertu de l'ordonnance de dévolution, la propriété intellectuelle pouvait être cédée à l'acheteur libre et quitte des droits que la partie pouvait avoir à l'égard de la PI aux termes d'une entente avec le débiteur.3 Les modifications apportées par le projet de loi assureront une application uniforme de ces dispositions dans tous les contextes d'insolvabilité.

Toutefois, le « droit d'utiliser la propriété intellectuelle » d'un titulaire de licence en vertu du projet de loi n'est pas absolu. Afin de bénéficier de la protection légale de son droit d'utiliser la propriété intellectuelle, l'utilisateur doit continuer d'exécuter les obligations qui lui incombent en vertu de l'entente, dans la mesure où ces obligations sont « en lien avec l'utilisation de la propriété intellectuelle ». Il sera donc intéressant de voir comment les tribunaux détermineront quelles sont les obligations constituant celles « qui sont en lien avec l'utilisation de la propriété intellectuelle », et si certains utilisateurs de PI ayant des cocontractants insolvables limiteront désormais l'exécution de leurs obligations à celles jugées « en lien avec l'utilisation de la propriété intellectuelle » aux fins de bénéficier de l'entente.

Prenons un exemple simple : une licence de logiciel qui comprend deux paiements à une entreprise aujourd'hui en faillite : un paiement forfaitaire (qui a déjà été payé avant la faillite), et un paiement par versements, en échange de soutien technique. Si le concédant fait faillite, le titulaire de licence peut-il cesser de payer les frais relatifs au soutien technique, ou s'agit-il d'une obligation « en lien avec l'utilisation de la propriété intellectuelle »?

La réponse à cette question peut sembler évidente dans l'exemple ci-dessus, mais des scénarios plus complexes peuvent facilement devenir ingérables. Par exemple, supposons que deux sociétés concluent une entente de coentreprise comportant différentes obligations de part et d'autre, notamment des licences mutuelles de PI, des garanties de production, une clause de non-concurrence, des clauses de non-sollicitation, une clause d'arbitrage, etc. Si l'une des parties à la coentreprise se place sous la protection de la LACC, comment l'autre partie pourra-t-elle déterminer lesquelles de ses obligations sont « en lien avec l'utilisation de la propriété intellectuelle » développée par la coentreprise? Les transactions complexes comme les coentreprises sont souvent des ententes globales, qui comprennent un grand nombre de concessions et d'obligations compensatoires pour chacune des parties. Il est difficile de procéder au fractionnement de ces transactions, et pourtant, ce fractionnement est intégré dans les nouvelles dispositions relatives à la PI.

Il sera intéressant de voir comment les tribunaux concilieront ces nouvelles dispositions avec la portée croissante des ordonnances de dévolution dans les contextes d'insolvabilité. Après tout, les modifications ont pour effet direct de limiter la marge de manSuvre dont le débiteur à grandement besoin pour disposer de ses biens, ceci pouvant avoir une incidence sur le produit qui peut être distribué à la masse des créanciers découlant de cette disposition.

Enfin, cette tâche de conciliation pourrait être rendue plus difficile par les modifications proposées à la Loi sur les brevets. Ces modifications obligent l'acquéreur d'un « brevet essentiel à une norme » (c.-à-d. un brevet qui est essentiel à une norme de l'industrie comme les réseaux cellulaires 5G) à honorer les engagements de licence pris par le titulaire précédent du brevet « malgré toute autre loi du Parlement et toute décision ou ordonnance prise en vertu de cette loi ». Il reste à voir si les ordonnances d'acquisition en vertu de la LFI et de la LACC seront subordonnées aux règles spéciales pour les brevets essentiels aux normes.

Les nouvelles modifications ne sont pas encore en vigueur, mais puisqu'elles sont incluses dans une mesure budgétaire, on peut s'attendre à ce qu'elles soient adoptées au début de la nouvelle année.

Footnotes

1 Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3, art. 65.11(7).

2 Golden Opportunities Fund c. Phenomenome Discoveries Inc, 2016 SKQB 306.

3 Royal Bank of Canada c. Body Blue Inc, [2008] JO 1628 (SCJ [Liste commerciale]).

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