La Cour supérieure dans l'affaire Sintra Inc. c. Procureur Général du Québec (Ministère des Transports)1 a récemment validé une clause pénale du MTQ bien connue des entrepreneurs Suvrant dans le domaine de la pose de revêtement bitumineux. Cette affaire traite de l'imposition d'une pénalité, par le MTQ, basée sur des variations de température lors de la pose d'asphalte et en s'appuyant sur des données captées par un thermographe.

Le MTQ a, depuis longtemps, constaté l'apparition de fissures longitudinales (parallèles sur la route) dans les mois ou années suivant les travaux d'asphaltage. Ces fissures laissent pénétrer l'eau dans l'infrastructure routière entraînant ainsi une détérioration prématurée des surfaces asphaltées, en plus de représenter un danger pour les motocyclistes.

Des études complétées par le MTQ entre 2003 et 2007 l'amènent à conclure que ces fissures sont parfois causées par un différentiel de température sur la surface routière lors de la pose d'asphalte, phénomène baptisé « ségrégation thermique longitudinale » ou « STL ». De plus, le MTQ a constaté une corrélation entre la détection par un thermographe d'une trainée de froid linéaire parallèle à la route lors de la pose d'asphalte et l'apparence de fissures dans le même endroit ultérieurement.

En se basant sur ces observations, le MTQ modifie, en 2008, son cahier des charges et devis généraux (CCDG) afin d'y inclure la clause pénale suivante :

« 5.2 Un lot est conforme lorsqu'il y a absence de ségrégation thermique longitudinale ou que le différentiel thermique sur la surface entre l'axe de la ségrégation thermique longitudinale et l'enrobé adjacent est inférieur à 5,0º C. Lorsqu'il y a non-respect de ce critère, déterminé selon la procédure décrite à l'annexe B, le lot est jugé non conforme et fait l'objet d'un avis écrit à l'entrepreneur au moyen du formulaire V-111-B ainsi que d'une révision du prix de l'enrobé, tel que décrit à l'article 6.2. »2

La procédure pour conclure à la présence de STL excédant 5,0º C est décrite en annexe du contrat. Elle se résume sommairement à une analyse de données captées par un technicien du MTQ muni d'un thermographe. L'article 6.2 du contrat impose une pénalité de 10 % du prix d'un lot, si le critère du 5,0º C n'est pas respecté.

Entre les années 2011 et 2015, Sintra Inc. s'est vu imposer des pénalités totalisant approximativement $ 427 000 appliquées sur plusieurs chantiers.

Le droit applicable

Généralement, une partie ayant subi une perte (le « créancier ») causée par son cocontractant (le « débiteur ») aura un recours contre ce dernier en dommages-intérêts pour le montant de la perte.

Il arrive toutefois que les parties à un contrat prévoient une clause pénale par laquelle elles évaluent en avance ces dommages-intérêts et stipulent que le débiteur se soumettra à la peine prévue dans le contrat au cas où il n'exécuterait pas son obligation. Ces clauses pénales sont explicitement autorisées par l'article 1622 du Code civil. De plus, l'article 1623 du Code civil prévoit que le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu'il a subi.

Ceci étant, le Code civil limite l'application des clauses pénales dans les contrats dits « d'adhésion ». Selon l'article 1379, un contrat est d'adhésion lorsque ses stipulations essentielles ont été imposées par l'une des parties et qu'elles ne pouvaient être librement discutées. Le contrat d'adhésion se distingue donc du contrat négocié de plein gré.

Il est de jurisprudence courante que les contrats-type inclus dans le cadre d'appel d'offres, particulièrement ceux émis par le gouvernement, les municipalités ou les organismes publics, sont des contrats d'adhésion. Ceci découle du fait, entre autres, que ces contrats sont préparés par le donneur d'ouvrage et que les possibilités pour les soumissionnaires de négocier les dispositions de ces contrats sont restreintes ou interdites.

En ce qui concerne les clauses pénales, les articles 1437 et 1623 du Code civil prévoient qu'une clause pénale considérée comme abusive d'un contrat d'adhésion est nulle, ou l'obligation qui en découle (par ex., le montant de la pénalité), réductible. Il revient ultimement au tribunal de décider du caractère abusif de la clause. Toutefois, une détermination du caractère abusif d'une clause pénale se basera généralement sur une série de critères issus de la jurisprudence, incluant (i) l'existence en effet d'un préjudice subi par le créancier, (ii) la démonstration d'une relation de causalité entre le défaut du débiteur et ce préjudice, (iii) la proportionnalité entre le préjudice subi et la pénalité et (iv) les répercussions financières de la pénalité sur le débiteur.

La décision

Dans la décision Sintra c. MTQ, le Juge Legris consacre beaucoup de temps à l'existence ou non de preuves scientifiques démontrant une corrélation entre les STL et l'apparence de fissures.

D'une part, la Cour passe à travers les études ou rapports scientifiques présentés par la demanderesse Sintra et qui mettent en question la causalité entre les STL et les fissures, l'exactitude des données captées par un thermographe dans le contexte de l'asphaltage et le fait que le seuil de 5,0º C imposé par le MTQ est trop exigeant, voir même impossible à rencontrer. D'autre part, le MTQ met en preuve une série d'études qui soutiennent sa position que toute différence de température augmente le risque de fissures longitudinales et que l'utilisation d'un thermographe pour détecter ces différences est scientifiquement fondée.

La Cour constata que même s'il n'y a aucune preuve scientifique absolue de la corrélation STL/fissures, « la clause en litige ne va pas à l'encontre des tendances doctrinales majoritaires de l'ingénierie. On ne peut donc pas dire que la clause en litige est abusive sous ce rapport. »3

La Cour rejeta la demande de Sintra, déclarant ainsi comme valide la clause pénale du MTQ.

Conclusion

La décision dans l'affaire Sintra c. MTQ est intéressante et importante sous plusieurs angles. Elle semble mettre un terme à un débat entourant l'existence d'une corrélation scientifique (les STL peuvent causer des fissures longitudinales), l'utilité d'un instrument de mesure pour établir la présence des STL (le thermographe), et la validité d'une clause pénale qui, selon le Juge Legris, « hante les esprits, réunions, tables rondes et même les cSurs depuis plusieurs années ».4

On retient aussi de cette décision que, dans la mesure où l'application d'une clause pénale est en partie fondée sur la science, l'absence de certitude scientifique absolue ne mettra pas nécessairement en question le caractère raisonnable (non abusif) de cette clause.

Cet article est paru dans la parution du 29 août 2017 du journal Constructo

Footnotes

[1] 2017 QCCS 3640 (« Sintra c. MTQ »).

[2] Idem, para 7.

[3] Idem, para 34.

[4] Idem, para 74.

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