Introduction

Le 26 juillet 2017, la Cour suprême du Canada (« CSC ») a rendu sa décision dans deux pourvois connexes, Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo Services Inc., 2017 CSC 40 (« Clyde River ») et Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41 (« Chippewas »). Le plus haut tribunal du pays a conclu que l'Office national de l'énergie (« ONÉ ») avait le mandat, aux termes de la loi, de mener des consultations au sens qu'en donne l'arrêt Haïda et que la Couronne pouvait s'en remettre au processus de consultation de l'ONÉ pour satisfaire, en tout ou en partie, à l'obligation de consulter qui lui incombe. 

Contexte

Les décisions de la CSC découlent de deux autorisations données par l'ONÉ. Dans la première, l'ONÉ avait permis à TGS-NOPEC Geophysical Company (« TGS  ») de procéder à des essais sismiques extracôtiers dans la baie de Baffin et le détroit de Davis. Dans la seconde, l'ONÉ avait fait droit à une demande présentée par Enbridge, aux termes de l'article 58 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, en vue d'inverser le sens de l'écoulement du pétrole dans une portion de sa canalisation 9 entre North Westover et Montréal.

Alléguant que la Couronne ne s'était pas acquittée de son obligation de consultation, Clyde River a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'ONÉ d'accorder cette autorisation. De même, les Chippewas de la Thames ont interjeté appel de la décision de l'ONÉ de faire droit à la demande d'Enbridge en faisant valoir que la Couronne ne s'était pas acquittée de son obligation de consultation.

Cour d'appel fédérale

Dans les deux cas, un appel a été interjeté devant la Cour d'appel fédérale. Pour de plus amples renseignements au sujet des décisions rendues par cette Cour à cet égard, veuillez consulter notre  bulletin.

Dans l'affaire Hameau de Clyde River, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'ONE avait pour mission, aux termes de la loi, de procéder à des consultations selon les principes énoncés dans les arrêts Rio Tinto et Taku River et que le processus consultatif mené par l'ONÉ était, en l'espèce, suffisant pour permettre à la Couronne de s'acquitter de son obligation de consulter. 

Dans l'affaire Première nation des Chippewas de la Thames¸ la Cour d'appel fédérale a conclu à la majorité que l'ONÉ n'avait pas le mandat d'évaluer si l'obligation de consulter avait été déclenchée et s'il avait satisfait à cette obligation avant de se pencher sur une demande relative à un projet. Le juge dissident s'est cependant déclaré d'avis que l'ONÉ était tenu, avant de délivrer une autorisation, de déterminer si la consultation avait été adéquate. À l'unanimité, la Cour a convenu du fait que l'ONÉ n'avait ni l'obligation ni le pouvoir de procéder à la consultation et qu'il était dans les faits impossible pour l'ONÉ de s'acquitter de l'obligation de consulter.

Les décisions de la CSC viennent dénouer le conflit entre les deux décisions de la Cour d'appel fédérale et clarifier les rôles de l'ONÉ et des tribunaux d'une manière générale à l'égard de l'obligation de consulter.

Décisions

Dans l'affaire Clyde River, la CSC a accueilli l'appel et a annulé l'autorisation donnée par l'ONÉ en concluant que la Couronne avait manqué à son obligation de consultation.

Dans l'affaire Chippewas, la CSC a rejeté le pourvoi en concluant que la Couronne s'était acquittée de son obligation de consulter par l'entremise du processus consultatif mené par l'ONÉ.

Naissance de l'obligation

Dans les deux pourvois, la CSC a conclu que la décision de l'ONÉ pouvait faire naître l'obligation de consulter et que cette obligation avait bel et bien pris naissance. La CSC a précisé que, même si l'ONÉ exerce ses activités de manière indépendante et n'est pas à proprement parler un mandataire de la Couronne, il agit pour le compte de la Couronne lorsqu'il rend une décision définitive relativement à l'autorisation d'un projet. L'ONÉ est, selon les termes de la CSC, « le moyen par lequel la Couronne agit ».

Rôle de l'ONÉ

Consultation

La CSC a conclu que l'ONÉ était habilité à procéder à une consultation et, plus particulièrement, qu'il disposait à la fois : 

  1. des pouvoirs procéduraux nécessaires pour mener des consultations;
  2. des pouvoirs de réparation lui permettant de prendre, au besoin, des mesures d'accommodement à l'égard des revendications autochtones ou des droits ancestraux ou issus de traités.

Sur la question de savoir si la consultation incombant à la Couronne peut être menée dans le cadre d'un processus réglementaire d'une manière plus générale, la CSC a rappelé le principe bien établi selon lequel la responsabilité ultime en matière de consultation incombe à la Couronne.

Cependant, même si cette responsabilité ultime incombe à la Couronne, cette dernière peut s'en remettre en tout ou en partie aux mesures prises par un organisme de réglementation, comme l'ONÉ, pour satisfaire à son obligation de consultation. Toutefois, dans l'arrêt Chippewas, la Cour ajoute ce qui suit :

[...] si les pouvoirs que la loi confère à l'organisme sont insuffisants dans les circonstances, ou si l'organisme ne prévoit pas des consultations et des accommodements adéquats, la Couronne doit prévoir d'autres avenues de consultation et d'accommodement véritables qui lui permettront de satisfaire à son obligation avant que le projet ne soit approuvé.

La CSC a confirmé que seul le projet présenté à l'ONÉ doit faire l'objet de consultations. Toutefois, la situation antérieure sera également prise en compte.

Évaluation du caractère adéquat de la consultation

La CSC s'est également penchée sur le désaccord entre la majorité et le juge dissident de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Chippewas de la Thames quant à la question de savoir si l'ONÉ était tenu, avant de prendre une décision, de déterminer si le processus de consultation avait été adéquat. La CSC a conclu que lorsqu'un tribunal est habilité à trancher des questions de droit, il doit exercer son pouvoir décisionnel dans le respect de la Loi constitutionnelle de 1982. L'ONÉ étant un organisme habilité à trancher des questions de droit, il doit veiller à rendre ses décisions en conformité avec les dispositions de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 en évaluant le caractère adéquat de la consultation. 

De plus, la CSC a souligné que la remise d'un « amas documentaire » est insuffisante pour satisfaire à l'obligation d'une consultation approfondie. Dans l'affaire Clyde River, même si le promoteur avait transmis à l'ONÉ une documentation volumineuse qui était disponible sur le site Web de l'ONÉ, celle-ci était inaccessible aux communautés susceptibles d'être touchées par le projet. Pour la CSC, « [l]e moins que l'on puisse dire » est que le fait de répondre à des questions qui touchent à l'essence des droits issus de traités en cause au moyen d'un document pratiquement inaccessible ne constitue pas une véritable consultation.

Motifs écrits

Dans l'arrêt Chippewas, la CSC a statué que l'ONÉ était tenu d'exposer des motifs écrits. De même, dans Clyde River, la Cour a constaté que lorsque les peuples autochtones soulèvent des préoccupations concernant la consultation, la Couronne y répond généralement par des motifs écrits. En ce qui concerne les motifs écrits, la CSC a souligné que lorsqu'une consultation approfondie est requise et que la question de la consultation est soulevée, l'ONÉ doit expliquer comment il a examiné les préoccupations des peuples autochtones et comment il en a tenu compte. Toutefois, cette exigence ne signifie pas qu'il faille procéder en toute circonstance et de façon mécanique à l'« analyse requise par l'arrêt Haïda ». Dans l'arrêt Chippewas, la CSC a constaté que l'ONÉ avait examiné les éléments de preuve présentés par écrit et de vive voix par les intervenants autochtones, identifié par écrit les intérêts en jeu, puis conclu que les risques étaient minimes et imposé par écrit, sous forme de conditions contraignantes, des mesures d'accommodement en vue de remédier aux effets préjudiciables possibles. Dans les circonstances, la CSC a statué que les motifs exposés par l'ONÉ étaient suffisants pour permettre de satisfaire à l'obligation de consultation de la Couronne.  

Conséquences

L'aspect le plus important de ces arrêts est qu'ils viennent lever l'incertitude qui entourait la question de la compétence de l'ONÉ en matière d'obligation de consulter. Il est à présent clair que l'ONÉ peut déterminer le caractère adéquat d'une consultation ainsi que mener un processus de consultation auquel la Couronne peut s'en remettre, y compris si cette dernière est le promoteur du projet. Ces principes s'appliquent non seulement à l'ONÉ, mais aussi aux autres instances décisionnelles administratives.

La confirmation par la CSC du fait que la remise d'un « amas documentaire » est insuffisante pour satisfaire à l'obligation d'une consultation approfondie intéressera les promoteurs de projets. Ces derniers sont tenus de présenter de l'information accessible et pertinente aux parties susceptibles d'être touchées par un projet. La mise à la disposition du législateur et du public d'une grande quantité d'information en ligne ne saurait être assimilée à une consultation. Il doit exister une compréhension mutuelle des points fondamentaux en jeu.

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