Le 9 juin 2017, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur le point de départ de la prescription en matière de réclamation d'honoraires professionnels d'avocats dans l'arrêt Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon, 2017 CSC 29.

Dans cette affaire, un cabinet d'avocats (le « cabinet ») a émis cinq (5) factures à son client, la dernière ayant été transmise le 1er mars 2012. Les services ont été rendus par le cabinet entre septembre 2011 et février 2012. Le client a mis fin au contrat avec le cabinet le 21 mars 2012. Outre son dépôt initial et un paiement partiel subséquent, le client n'a jamais payé l'entièreté des factures émises.

Une convention d'honoraires est conclue entre le cabinet et le client (la « convention »), selon laquelle toute facture est payable dans les trente (30) jours. À défaut par le client de payer dans ce délai, les intérêts commenceraient à courir dès le trente-et-unième (31e) jour.

Les trois (3) premières factures prévoyaient qu'elles étaient payables sur réception et les deux (2) dernières prévoyaient un délai de grâce de trente (30) jours. Le plus haut tribunal du pays ne s'est pas attardé sur l'incongruité entre les trois (3) premières factures et la convention. Elle a plutôt donné préséance aux termes de la convention pour les fins de son analyse.

Le cabinet a intenté le recours contre son client le 12 mars 2015, réclamant le paiement des cinq (5) factures. La Cour du Québec a fait droit à l'exception d'irrecevabilité du client en décidant que le recours était prescrit. La Cour d'appel a accueilli l'appel uniquement en ce qui concerne la dernière facture, vu qu'en raison de la convention, celle-ci n'est devenue exigible que trente (30) jours après l'émission de la dernière facture, soit moins de trois (3) ans avant le dépôt des procédures.

La Cour suprême a rejeté l'appel du cabinet fondé sur l'argument qu'en matière de réclamation d'honoraires professionnels d'avocats, le délai de prescription commence à courir à la fin du mandat. Selon la Cour, le point de départ de la prescription du recours en réclamation d'honoraires professionnels d'avocats est une question factuelle dont la détermination découle des faits propres à chaque cas. En l'espèce, le fait que des factures avaient été émises avant la fin du mandat et les termes de la convention constituent des éléments factuels déterminants.

Le rôle et le calcul de la prescription extinctive

La Cour suprême a rappelé que la prescription a un rôle important consistant à éviter les contestations judiciaires qui seraient caractérisées par la confusion et l'incertitude en raison de leur ancienneté et de sanctionner la négligence du titulaire d'un droit :

« [10]  La prescription extinctive « est un moyen d'éteindre un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action » (art. 2921 C.c.Q.). Elle est « considérée comme indispensable à l'ordre social » en raison des deux rôles cruciaux qu'elle est appelée à jouer (P. Martineau, La prescription (1977), par. 235). D'une part, elle permet d'éviter « les contestations judiciaires qui, à cause de l'ancienneté des faits qui s'y rapportent, seraient caractérisées par la confusion et l'incertitude » (ibid.). Cette considération est particulièrement importante « [d]ans une société moderne, basée sur la rapidité et la stabilité des échanges économiques », où « [l]e droit doit, au bout d'un certain temps, acquérir une certitude permettant de cristalliser la situation juridique et de consolider le droit des parties et des tiers » (J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile (8e éd. 2014), no 1‑1294). D'autre part, elle permet de sanctionner la négligence du titulaire de droit, dont le silence « équivaut à un abandon » (P.-B. Mignault, Le droit civil canadien (1916), t. 9, p. 336) ».

Par ailleurs, la Cour suprême a rappelé qu'en matière contractuelle, la prescription extinctive est tributaire de la naissance du droit d'action, un élément factuel qui varie selon les circonstances et, plus particulièrement, selon les modalités du contrat entre les parties1.

Ainsi, il n'y a pas de point de départ uniforme pour calculer la prescription extinctive en matière de recouvrement d'honoraires professionnels d'avocats :

« [13] [...] Contrairement à ce que prétend l'avocat en l'espèce, le point de départ de la prescription n'est pas uniforme en matière de recouvrement d'honoraires professionnels d'avocats. Il dépend plutôt de la date à laquelle le droit d'action a pris naissance, date qui varie en fonction des circonstances propres à chaque cas ».

Le report de l'exigibilité de l'obligation

Une clause contractuelle qui reporte l'exigibilité des paiements à trente (30) jours suivant l'émission des factures fait en sorte que le délai de prescription court à compter du trente-et-unième (31e) jour suivant l'émission des factures :

« [14] En l'espèce, la convention d'honoraires intervenue entre les parties fixe le moment auquel l'obligation de paiement de l'intimé devient exigible. Elle précise que « [t]oute facturation est payable dans les trente (30) jours » (d.a., p. 79). Ce terme suspensif reporte l'exigibilité du paiement, et donc le point de départ du délai de prescription, au 31e jour suivant l'envoi de chaque facture ».

L'argument du cabinet selon lequel les paiements étaient dus mais non exigibles n'a pas été retenu par la Cour :

« [19] En somme, selon une telle approche, un avocat devrait remettre au gouvernement les taxes correspondant aux sommes facturées à son client sans pouvoir se faire payer ni cesser d'agir avant la fin du contrat. Suivant la position catégorique adoptée par l'appelant, ces conséquences s'étendraient à tous les contrats conclus par un avocat et son client. Je ne puis concevoir que ce soit là l'état du droit, et encore moins le reflet d'une gestion efficace et sensée d'une pratique professionnelle ».

Le contrat entre l'avocat et le client n'est pas un contrat d'entreprise

Le report systématique du point de départ de la prescription prévu à l'article 2116 du Code civil du Québec est inapplicable au contrat entre l'avocat et son client. En effet, l'avocat ne crée aucun ouvrage, même intellectuel, pour le compte de son client. Il fournit plutôt des services pendant une période donnée :

« [25] Aussi, cette notion de « fin des travaux » ou de « fin du mandat » qu'invoque ici l'appelant est inapplicable aux contrats intervenant entre un avocat et son client, lesquels ne visent pas la réalisation d'un ouvrage. La nature du travail d'un avocat consiste à offrir ses services pendant une certaine période, et non à livrer à un client un « produit fini » que ce dernier pourra utiliser. Parfois, son rôle est également de représenter ce client devant les tribunaux. Le contrat conclu par un avocat et son client peut donc être qualifié de contrat de services, de mandat, ou de contrat mixte, selon la nature des services rendus (Baudouin, Deslauriers et Moore, no 2‑124; M.D. c. Plante, 2009 QCCS 6113, par. 34 (CanLII); Bailey c. Fasken Martineau DuMoulin s.r.l., [2005] R.R.A. 842 (C.S.), p. 847; Bérocan inc. c. Masson, [1999] R.J.Q. 195 (C.S.), p. 198). Ce n'est par contre pas un contrat d'entreprise ».

Ne bénéficiant d'aucun régime particulier, le contrat entre l'avocat et son client répond aux règles générales de la prescription et le point de départ de la prescription applicable à ce type de contrat doit être déterminé selon les circonstances applicables. Ainsi, si les factures sont envoyées après le rendement des services ou la fin du mandat, la prescription commence à courir en tenant compte du moment où elles sont transmises :

« [28] Ainsi, les décisions qui ont retenu la fin du contrat comme point de départ de la prescription ont pour la plupart été rendues dans des affaires où, à la différence du cas qui nous occupe, les factures avaient été envoyées après que le contrat de l'avocat ou du professionnel en question ait pris fin. Comme aucune convention n'établissait le moment de l'exigibilité des obligations, il était donc possible pour les tribunaux de conclure, sur la base des circonstances propres à chaque cas, que l'avocat ou le professionnel concerné pouvait alors poursuivre son client à partir de la date du dernier service rendu [...] ».

Au surplus, la Cour suprême rejette l'argument du cabinet voulant que les obligations déontologiques découlant de la relation avocat-client résultent en une impossibilité en fait d'agir contre un client pour des comptes en souffrance tant que l'avocat agit pour celui-ci. La situation crée un dilemme qui ne sera pas facile à résoudre pour l'avocat, mais non une impossibilité en fait d'agir :

« [35] Toutefois, cette situation n'entraîne pas une impossibilité en fait d'agir qui suspend la prescription. Elle impose plutôt un choix à l'avocat : soit laisser courir la prescription en continuant de représenter son client malgré le défaut de paiement, soit réclamer ses honoraires devant les tribunaux en cessant d'agir pour ce dernier comme le lui permet le Code de déontologie des avocats (art. 48). Tout aussi difficile que ce choix puisse parfois être, il s'offre néanmoins à l'avocat, comme en témoignent les requêtes présentées régulièrement devant les chambres de pratique des tribunaux du Québec par des avocats qui désirent cesser d'occuper pour un client en raison du non-paiement de leurs honoraires. Une impossibilité en fait d'agir ne saurait découler d'un choix rationnel dont dispose un créancier et que ce dernier exerce librement et en toute connaissance de cause (Roy c. Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec, 2009 QCCA 459, par. 3 (CanLII); voir aussi Dehkissia c. Kaliaguine, 2011 QCCA 84, par. 36 (CanLII)) ».

Il découle de l'analyse de la Cour suprême que les avocats doivent s'assurer que leurs honoraires sont payés de façon régulière. En l'absence d'un tel paiement, ils devront faire un choix entre 1) laisser courir la prescription en continuant de représenter le client malgré le défaut de paiement ou 2) réclamer ses honoraires devant les tribunaux et cesser d'agir pour ce dernier.

Cet arrêt de la Cour suprême aura une incidence certaine sur l'industrie des services juridiques, mais également sur les entreprises et professionnels qui agissent comme prestataires de services et qui facturent leurs clients sur une base régulière. 

Footnote  

1       Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon, 2017 CSC 29, par. 12.

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