Une récente décision de la Cour d'appel des États-Unis pour le circuit fédéral met en évidence l'importance du mémoire descriptif d'un brevet. Elle insiste particulièrement sur le fait que les mémoires ne comportant pas de détails techniques expliquant l'invention ne résistent pas à l'analyse.

Les brevets ne peuvent être délivrés que pour des objets admissibles comme un procédé, une machine, une fabrication ou une composition de matières. Ils ne peuvent pas être délivrés pour des idées abstraites. La Cour suprême des États-Unis, dans les affaires Mayo et Alice, a énoncé un critère à deux étapes relativement à l'admissibilité des objets1. On doit tout d'abord se demander si les revendications du brevet visent un concept non brevetable. Dans l'affirmative, l'analyse poursuit son cours. À la seconde étape, il y a lieu de se demander si des éléments des revendications contiennent un concept inventif qui suffira à transformer la nature des revendications en une demande portant sur un objet brevetable.

Dans l'affaire Vehicle Intelligence and Safety LLC c.Mercedes-Benz USA, LLC (Fed. Cir.2015), la Cour d'appel pour le circuit fédéral a soutenu le jugement de la cour du Northern District of Illinois, qui appliquait le critère énoncé dans les affaires Mayo/Alice et invalidait les revendications parce qu'elles portaient sur un objet non brevetable2. La Cour d'appel pour le circuit fédéral a statué à l'unanimité que les revendications portaient uniquement sur des idées abstraites et s'accompagnaient des étapes habituelles de collecte de données et des activités informatiques traditionnelles (traduction). Le brevet revendique des méthodes et des systèmes concernant la sélection des conducteurs d'équipement par un système expert en vue de détecter les déficiences. Les opérateurs sont testés de façon sélective et l'équipement est contrôlé si des déficiences sont détectées.

Dans son application du critère Mayo/Alice, la Cour a tenu compte des revendications et du mémoire descriptif. À la première étape du critère, la Cour a constaté que les revendications visent l'idée abstraite de tester les opérateurs de toutes les sortes d'équipement mobile afin de repérer toute déficience physique ou mentale (traduction). Dans son examen du mémoire descriptif, la Cour n'a trouvé aucune explication technique sur la façon dont le système expert fonctionne dans les faits ou sur la façon dont il effectue plus rapidement, plus fidèlement et plus sûrement le repérage des déficiences. Le mémoire descriptif dresse bien la liste des caractéristiques pouvant être mesurées et utilisées, mais il ne contient aucune précision technique portant notamment sur la façon dont les caractéristiques sont mesurées, sur la façon dont les déficiences sont déterminées en fonction des caractéristiques mesurées, sur la façon dont une intervention de contrôle est sélectionnée en fonction de la déficience et sur la façon dont cette intervention est effectuée.

À la deuxième étape, la Cour était d'avis que les revendications ne font pas état d'un concept inventif qui suffirait à transformer l'idée abstraite de tester les opérateurs de toutes les sortes d'équipement mobile en vue de détecter toute déficience physique ou mentale en une demande portant sur un objet brevetable (traduction). La Cour a rejeté ici l'argument selon lequel les méthodes revendiquées sont intégrées dans des modules d'équipement spécialisé existants (traduction). Ici encore, estimant que le mémoire descriptif ne donnait pas d'explications sur la façon dont les méthodes peuvent être intégrées dans les modules existants ou même sur les différences entre le matériel et le logiciel, la Cour a statué que les revendications contiennent des éléments abstraits.

Un destin semblable au Canada

Les revendications de l'affaire Vehicle Intelligence auraient probablement subi un sort semblable au Canada et auraient été déclarées invalides. Au Canada, la brevetabilité des objets est évaluée en fonction d'une interprétation téléologique des revendications définissant l'invention3. Chaque élément des revendications est réputé être essentiel ou non essentiel, et seuls les éléments essentiels sont retenus pour définir l'invention. L'Office de la propriété intellectuelle du Canada détermine le caractère essentiel d'un élément en fonction du problème et de sa solution4. La détermination du problème et de la solution est orientée par les connaissances générales de la personne versée dans l'art et par le mémoire descriptif.

Les revendications de l'affaire Vehicle Intelligence peuvent résoudre ici le problème lié à la sélection des opérateurs d'équipement dans le contexte des déficiences. Bien que les revendications fassent état d'un système expert, cet élément ne présente pas une signification simple, courante et non équivoque pour une personne ayant des connaissances ordinaires de l'art. Ni les revendications ni le mémoire descriptif ne donnent de détails sur la façon exacte dont le système expert est techniquement mis en Suvre. Cette absence de détails sur la mise en Suvre technique peut indiquer une revendication qui n'est que la simple idée d'utiliser un système expert5. Dès lors, le système expert lui-même peut se trouver à l'extérieur de la définition de l'invention, et il est possible de penser que les revendications ne définissent pas une manière précise d'exploiter la solution.

L'importance des détails

L'affaire Vehicle Intelligence nous rappelle qu'il faut incorporer des détails techniques dans les mémoires descriptifs des brevets. Premièrement, la présence de suffisamment de détails de ce genre permettent à la personne versée dans l'art de raisonnablement conclure que l'inventeur a l'invention en sa possession6. Deuxièmement, les détails techniques peuvent servir à écarter les objections empreintes d'imprécision qui n'arrivent pas à définir clairement l'invention et à la revendiquer précisément.

Enfin, comme le montre l'affaire Vehicle Intelligence, les détails techniques peuvent faire en sorte que les revendications ne soient pas associées à un objet non brevetable. À la première étape du critère Mayo/Alice, des détails techniques montrant le fonctionnement de l'invention peuvent éviter que les revendications ne soient liées à des idées abstraites. À la seconde étape, des détails techniques indiquant de quelle façon le système peut être mis en Suvre peuvent transformer une idée abstraite en une demande portant sur un objet brevetable. Le simple fait d'être liées à des machines précises n'exclut pas que les revendications puissent porter sur un objet non brevetable.

Les brevets sont des documents techniques tout autant que des documents juridiques. Les brevets valides doivent contenir des détails techniques. Les inventeurs doivent être disposés à s'immerger profondément avec leurs agents de brevets dans l'objet brevetable afin de bien faire ressortir les détails techniques sur le fonctionnement de l'invention. Ils doivent ensuite s'assurer que ces détails sont intégrés dans le mémoire descriptif afin que les inventions jouissent de la protection valide et exécutoire que confèrent les brevets.

Footnotes

1. Mayo Collaborative Services c. Prometheus Laboratories, Inc., 132S.Ct.1289(2012); Alice Corp. Party c.CLS Bank International, 134S.Ct.2347 (2014).

2. Vehicle Intelligence and Safety LLC c. Mercedes-Benz USA, LLC, Daimler AG (Fed. Cir.2015), accessible à http://www.cafc.uscourts.gov/sites/default/files/opinions-orders/15-1411.Opinion.12-22-2015.1.PDF.

3. Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000CSC66; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC67.

4. Office de la propriété intellectuelle du Canada, Pratique d'examen au sujet de l'interprétation téléologique – PN2013-02 (8mars2013), accessible à https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr03626.html.

5. Office de la propriété intellectuelle du Canada, Pratique d'examen au sujet des inventions mises en Suvre par ordinateur – PN2013-03 (8mars2013), accessible à https://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr03627.html.

6. Moba, B.V. c.Diamond Automation, Inc., 325F.3d1306, 1319, 66USPQ2d1429,1438 (Fed. Cir.2003).

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