Un employeur peut-il formuler une demande reconventionnelle à l'endroit d'un employé et réclamer des sommes qui lui sont dues dans le cadre d'une poursuite entreprise par la Commission des normes du travail (CNT)? Une décision récente de la Cour du Québec répond par l'affirmative et relance, du même coup, le débat à ce sujet1.

Les faits

Cette affaire résulte d'une poursuite instituée par la CNT pour réclamer une somme de 2 301$ pour des vacances impayées à une salariée.

De son côté, l'employeur avait présenté une défense dans laquelle il prétendait qu'il ne devait aucune somme à cette salariée, puisque cette dernière avait reçu des avances de salaire et signé une convention de remboursement applicable dans les circonstances. L'employeur admettait ainsi avoir opéré compensation et retenu les sommes dues compte tenu de la dette contractée en sa faveur par la salariée. De plus, l'employeur avait déposé une demande reconventionnelle réclamant à la salariée les avances de salaire qui ne lui avaient toujours pas été remboursées, plus précisément 2 589,93 $.

En réponse à cette demande reconventionnelle, la CNT a présenté une requête en irrecevabilité au motif que ni la convention de remboursement ni la Loi sur les normes du travail ne permettent à l'employeur d'opérer compensation des sommes dues et, au surplus, que ce dernier ne pouvait formuler une demande reconventionnelle à l'endroit de la salariée, puisque que la CNT agissait pour son compte et était la seule partie en demande. Au soutien de ce dernier argument, la CNT invoquait la jurisprudence majoritaire et récente selon laquelle un employeur ne peut agir contre un salarié dans un recours institué par la CNT2.

La décision

Le juge Jean-François Keable, de la Cour du Québec, rejette les arguments proposés par la CNT et accepte que l'employeur présente une défense de compensation et dépose une demande reconventionnelle, repoussant ainsi la tendance jurisprudentielle majoritaire.

Sur le plan de la compensation, le magistrat note que la défense de compensation légale est un principe reconnu par les tribunaux. De plus, en l'espèce, la salariée avait signé une convention de remboursement qui était à son avantage, puisqu'elle lui permettait de toucher des avances salariales, ce qui n'est pas prohibé par la Loi sur les normes du travail.

En ce qui a trait à la demande reconventionnelle, la Cour se dit en désaccord avec les précédents soumis par la CNT. Selon elle, le fait que l'employeur puisse opposer à l'action de la CNT tout moyen qu'il pourrait avoir contre le salarié lui même3 lui permet également de présenter une demande reconventionnelle contre l'ex-salariée.

Le tribunal ajoute à ses motifs qu'il importe de respecter le principe de proportionnalité expressément prévu dans le Code de procédure civile. Ainsi, au lieu d'obliger l'employeur à déposer un recours distinct devant la Cour du Québec, il vaut mieux permettre aux parties de tenir un seul et même débat autour d'une question dont la source est la même. Il en va, selon la Cour, de l'intérêt de la justice.

Conclusion

Cette décision, bien que fort intéressante pour les employeurs, ne tranche malheureusement pas de manière définitive le débat sur cette question vu la présence de deux courants jurisprudentiels et l'absence de décision provenant des tribunaux supérieurs à cet égard4.

En revanche, elle ouvre certainement la porte aux réclamations de la part d'employeurs contre des salariés pour des sommes dues ou un préjudice subi, et ce, même lorsque les procédures sont entreprises par la CNT.

Par ailleurs, à un moment où les employeurs doivent jongler avec des demandes de toutes sortes de la part de leurs employés, cette décision rappelle à quel point il est impératif pour les employeurs de documenter le processus de paiements ou d'avances effectués à leurs salariés et d'établir, en termes clairs, les conditions de remboursement de ces sommes.

Footnotes

1 Voir Commission des normes du travail c Compagnie d'assurances Standard Life du Canada, 2014 QCCQ 4523.

2 Pour un résumé de l'état du droit sur cette question, voir Commission des normes du travail c 9175-0489 Québec inc. (Steak frites Saint-Paul), 2013 QCCQ 3884.

3 Voir Commission des normes du travail c Motos Daytona inc., 2009 QCCA 1833.

4 Une requête pour permission d'appeler a été accueillie à ce sujet en 2011, mais le dossier a fait l'objet d'un règlement hors cour. Voir Commission des normes du travail c Corporation de développement Nordic inc., 2011 QCCA 2313.

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Norton Rose Fulbright is a global legal practice. We provide the world's pre-eminent corporations and financial institutions with a full business law service. We have more than 3800 lawyers based in over 50 cities across Europe, the United States, Canada, Latin America, Asia, Australia, Africa, the Middle East and Central Asia.

Recognized for our industry focus, we are strong across all the key industry sectors: financial institutions; energy; infrastructure, mining and commodities; transport; technology and innovation; and life sciences and healthcare.

Wherever we are, we operate in accordance with our global business principles of quality, unity and integrity. We aim to provide the highest possible standard of legal service in each of our offices and to maintain that level of quality at every point of contact.

Norton Rose Fulbright LLP, Norton Rose Fulbright Australia, Norton Rose Fulbright Canada LLP, Norton Rose Fulbright South Africa (incorporated as Deneys Reitz Inc) and Fulbright & Jaworski LLP, each of which is a separate legal entity, are members ('the Norton Rose Fulbright members') of Norton Rose Fulbright Verein, a Swiss Verein. Norton Rose Fulbright Verein helps coordinate the activities of the Norton Rose Fulbright members but does not itself provide legal services to clients.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.